(WARNING: l'article qui suit contient beaucoup de petites bêtes moches, du coup je t'ai mis un bébé loutre pour te donner du courage.)
(Regarde-moi ces petites pattounes!)
Depuis que j'habite dans une maison de banlieue, j'ai eu la joie de partager ma maison avec diverses créatures (des cafards, des souris, des GROS RATS).
(Je vis pas dans le ghetto hein, c'est juste la Nouvelle-Zélande.)
(Paye ton pays sans prédateurs.)
J'ai donc dû m'habituer aux créatures cheloues qui squattent la maison de temps en temps, comme ce weta qui est venu nous faire un coucou:
(Hé, qu'est-ce que s'up?)
Et puis qui a un peu protesté quand on a essayé de le bouger hors de la terrasse histoire de pas l'écraser par mégarde:
(Mais enfin, mais c'est quoi ces manières?)
Ou encore des choses moins exotiques, comme des ARAIGNÉES VELUES.
(Kikoo!)
Et j'ai réalisé ça que très récemment, quand, trouvant une araignée du modèle ci-dessus sur le parquet de ma chambre, JE N'AI PAS EU PEUR.
J'ai vu l'araignée, j'ai fait "tiens une araignée", et puis je me suis dit "Nan je dois me gourer, parce que j'ai pas peur. Ça doit être autre chose".
Et je me suis approchée, j'ai compté les pattes, une fois, deux fois, et rien à faire, c'était bien une araignée et je n'avais toujours pas peur.
Et, en l'écrasant d'un revers de dictionnaire, j'ai ressenti ce qui était probablement la plus profonde satisfaction de ma vie.
Parce que ça fait 25 ans que ma phobie me pourrissait la vie et que je peux enfin dire que c'est FINI.
Je me suis donc dit que j'allais faire un article commémoratif, pas juste pour me la péter (un peu quand même) mais surtout pour m’adresser à tous les gens comme moi, et leur expliquer par où je suis passée pour guérir de l'arachnophobie.
Alors d'abord, faut savoir que j’ai mis très longtemps à découvrir que j’étais arachnophobe. Parce que j’étais un enfant, parce que j’étais une fille, il semblait « normal » aux yeux de mon entourage que les araignées me fassent pousser des hurlements.
(Faut dire aussi que ma mère et ma soeur n'étaient pas des grandes fans des monstres à huit pattes non plus.)
(Le nombre de fois où mon père est rentré du travail et où il trouvait des serviettes entassées sous les portes et des boules de papier dans les trous de serrure parce qu'on s'était littéralement barricadées dans une pièce.)
(Après on s'étonne que je m'étais pas rendu compte de ma phobie, dans cette famille de tarés.)
J’habitais à la montagne, donc c’était pas la joie tous les jours, mais je me consolais en me disant que, comme me l’avaient assuré mes parents, « ça passerait ».
Sauf que les années ont passé, passé, mais que ma terreur, elle, est bien restée.
Et ce que mon entourage considérait comme des « caprices », des « comédies », autant c’était passable quand j’avais huit ans, autant à dix-neuf, ça commençait à faire lourd.
Et je savais que c'était pas normal d'avoir des rituels. De regarder chaque coin d'une pièce en entrant quelque part. De s'interdire l'accès aux caves, aux greniers. De ne pas pouvoir aller me coucher tant que chaque recoin de la chambre et chaque repli du lit n'avait pas été inspecté à la lampe de poche.
(Sérieusement, ça prenait genre 20 minutes.)
Mais j'arrivais pas à m'en empêcher.
Et donc, pendant des années, j’ai vécu avec le sentiment d’être anormale. Sentiment qui n’a pas été aidé par l’intervention de mes proches, qui me sommaient de « me ressaisir », de « me prendre en main », d’être « raisonnable », et me resservaient a toutes les sauces la phrase la plus haïe de mon existence :
- C’est pas la petite bête qui va manger la grosse !
(Nan, mais c’est TA GUEULE QUI VA MANGER MON POING si j’entends encore une seule fois cet argument de merde.)
Et puis, un jour, j’avais vingt-trois ans, et j’ai capté un morceau d’émission sur France Inter qui traitait des phobies, et pour la première fois, j’ai pu mettre des mots sur mon comportement. J'ai compris que je n’avais pas un grain, que les phobies touchaient tout le monde, bref : que c’était normal d’être anormal.
Et, surtout, que les phobies, ça se soignait.
Et donc, je suis allée me renseigner sur les traitements.
Pour info, il existe une myriade de traitements – aux effets plus ou moins avérés – contre les phobies, mais je me suis concentrée sur les deux méthodes les plus répandues, et qui, toutes deux, font appel à des « psys » - mais pas les mêmes.
L’une des méthodes, c’est de suivre une psychanalyse. Comme beaucoup de phobies sont causées par un traumatisme, on essaye, avec l’aide d’un(e) psychanalyste, de remonter aux sources de la phobie afin de comprendre ce qui l’a déclenchée, et, par là même, comment en guérir.
Pour ma part, étant donné que ma phobie avait été avec moi d’aussi loin que je pouvais m’en souvenir et que (à ma connaissance) il n’y a pas eu de traumatisme déclencheur, j’ai décidé de me tourner vers une approche plus terre-à-terre : la thérapie cognitivo-comportementale.
La TCC, comme on l’appelle quand on a la flemme, fait appel aux services d’un(e) psychiatre, cette fois-ci. Oublie les histoires de s’allonger sur le divan et de parler de ta mère, la, on entre tout de suite dans la phase pratique !
Donc, la TCC, comment ça se passe ?
Lors de la première séance, le psy va d’abord évaluer le degré de la phobie, en te posant pas mal de questions, du type : « Y-a-t-il des endroits où vous vous interdisez d’aller par peur d’y trouver des araignées ? » « Comment réagissez-vous si vous voyez une araignée a la télé ? », etc. Ensuite, il explique un peu au patient le mécanisme de la phobie, et la manière dont la TCC propose d’en guérir.
Alors parlons un peu du mécanisme de la phobie.
(Je parle ici des phobies spécifiques ou "simples", qui sont déclenchées par un objet externe, et pas des phobies sociales, qui sont une tout autre paire de manches.)
Les phobies se distinguent d'une peur normale par le chemin que prend l'information pour arriver au cerveau.
Dans un schéma de peur normale, mettons qu'au détour d'une balade au zoo, je tombe soudainement sur une tarentule dans son bocal. Eh bien, mon cerveau va d'abord "voir" uniquement l'information la plus urgente (la tarentule), interpréter cette image comme un danger potentiel, et l'envoyer à l'amygdale, qui est la partie du cerveau qui gère les réactions de peur et de panique.
L'amygdale va donc recevoir l'information, et va faire deux choses simultanément:
1. Elle va informer le cortex cérébral, qui est responsable du raisonnement.
2. Elle va préparer le corps à la fuite en cas de danger avéré: poussée d'adrénaline, augmentation du rythme cardiaque, afflux de sang dans les membres.
Ensuite, c'est le cortex qui va analyser la situation dans son ensemble et décréter s'il y a motif à avoir peur ou non. La réaction de peur sera alors maintenue ou non, selon les besoins.
Dans le cas ci-dessus, une personne "normale" aura une réaction de panique initiale - "Oh putain un gros bestiau moche" - accompagné d'un sursaut et d'un mouvement de recul (prudence évolutive, on s’éloigne de ce qui a l'air dangereux - si nos ancêtres étaient allés câliner des crocos, on n'aurait jamais survécu assez longtemps pour inventer la bombe atomique), suivi d'un apaisement - "ah mais c'est bon y'a une vitre, ha ha quel con je fais" - et d'un retour à la normale.
Là où le cerveau du phobique est mal foutu, c'est qu'il fonctionne de la même manière pour presque tout, SAUF pour un objet ou une situation spécifique (dans mon cas, les araignées).
Quant un phobique est face à l'objet de sa phobie, le processus ci-dessus va être court-circuité par l'amygdale, qui va retenir l'information, ne la partagera pas avec le cortex, et va prendre le dessus sur le corps.
En gros, ton cerveau jette l'éponge.
(Trop utile)
Du coup, quand un arachnophobe voit une araignée, son amygdale le bombarde d'un énorme message "DANGER DANGER DANGER DANGER", et il est dans l'impossibilité d'analyser la situation rationnellement. Il va avoir peur CONSTAMMENT, jusqu'à ce que la source de l'anxiété (l'araignée) ait disparu.
Donc, les commentaires du style "cette araignée n'est pas venimeuse" ou "ce chien ne va pas te mordre", c'est pisser dans un violon, sache-le, parce que le phobique a peur de l'objet dans son intégralité, pas d'une situation hypothétique qui pourrait se produire avec cet objet. (Je n'ai jamais eu peur d’être mordue par une araignée, j'avais juste peur des araignées.)
La phobie, ce n'est pas une peur rationnelle, ce n'est donc pas une peur qu'on peut calmer par le raisonnement. Et les phobiques savent que leur peur n'est pas rationnelle. Donc pas besoin de remuer le couteau dans la plaie avec des commentaires style "Nan mais sérieux t'as pas à avoir peur des araignées, en France elles sont même pas venimeuses", parce que nous autres phobiques, on l'entend comme ça:
- Nan mais sérieux pourquoi t'as une névrose? C'est nul d'avoir une névrose! T'es con. Tu devrais arrêter d’être con. Voila ma solution à ton problème. Elle est bien, hein?
Donc, ça ne sert à rien de dire à un phobique "calme-toi", "sois raisonnable", puisque la nature même de la phobie EMPÊCHE le raisonnement. Un phobique ne PEUT PAS se calmer parce que son cerveau pourri ne le LAISSE PAS FAIRE.
C'est assez clair? Vous allez arrêter d'être des connards maintenant?
Ci-mer.
(Je sais pas si ça se sent que j'ai de légers comptes à régler.)
Du coup, le rôle du psy dans la TCC est d'aider la personne phobique à reprendre le contrôle de son cerveau, et à faire un gros doigt à son amygdale en lui disant:
- Ouais c'est vrai que t'as un rôle vachement important dans la survie de l'espèce, mais maintenant tu vas te calmer deux minutes OKAY?
Comment est-ce que c'est possible de mettre à jour les connexions de son cerveau? Eh bien on va travailler sur la durée de l'angoisse.
Pour faire court : dans un schéma de peur normale, l’angoisse se présente comme un pic : sursaut, frayeur, puis raisonnement. Dans un schéma de phobie, il faut prendre ce pic et le remplacer par un palier, de sorte que la réaction est : sursaut, frayeur, épouvante, panique, angoisse totale, larmes, cris, tout ce que tu veux, et ENSUITE seulement ça se calme.
Sauf que ce palier est assez long et que la plupart des gens ne restent pas dans une situation d’angoisse suffisamment longtemps pour qu’elle s’estompe d’elle-même.
(On est phobiques mais on n’est pas masochistes, merci bien.)
La TCC propose, par des exercices quotidiens, de réduire peu à peu la durée de ce palier, jusqu’à ce que la phobie disparaisse complètement.
Mon premier exercice, c’était donc de regarder une photo d’araignée tous les jours, et de ne pas détourner le regard jusqu’à ce que mon angoisse disparaisse.
Le premier jour, ça a pris quarante-cinq minutes, ça te donne une idée de mon état de départ.
Et c'était avec cette image:
(Au départ j'avais googlé "araignée" et j'ai cru mourir, du coup j'ai cherché "petite araignée mignonne avec un chapeau haut-de-forme", et même là, ça a pris quarante-cinq minutes)
J’avoue que les premiers temps ont été très durs, parce que c’était une véritable torture mentale que de m’infliger ce traitement. Mais les effets ont été quasi-immédiats : de jour en jour, ça devenait de plus en plus facile de regarder des images d’araignées sans me sentir sur le point de mourir de frayeur.
Une fois cette étape passée, on enchaîne la thérapie par paliers : après les photos, on a droit aux vidéos d’araignées.
(J'ai dû voir à peu près trois mille documentaires.)
(Je suis méga incollable sur la production de soie et sur les rituels amoureux des tarentules.)
(Ca fait son petit effet en soirée.)
Et puis c'était l'étape "the real deal": visites au zoo pour en voir des vraies, puis affrontement avec des spécimens sauvages (la pantoufle est ton alliée).
Ce qui m'amène à la phase finale de la thérapie: la guérison.
On estime qu’un patient est « guéri » de sa phobie quand la vue de l’objet provoquant l’angoisse ne provoque plus aucune panique.
(Je parle ici de l’arachnophobie, mais la TCC se pratique avec toutes les phobies situationnelles : peur des serpents, des avions, du sang, des hauteurs, des tunnels, des ascenseurs, des limaces (ça existe !) : toutes ces phobies peuvent être soignées grâce à la TCC.)
Perso, ma thérapie a duré cinq mois et demi avant que je sois considérée comme officiellement guérie.
Cinq mois et demi pour me débarrasser d'une phobie qui m'avait rongé pendant toute ma vie.
Tu me l'aurais dit, j'aurais pas pensé que c'était possible.
Je pensais que ça faisait tellement partie intégrante de ma vie, de mon être, que ça ne pourrait jamais disparaître.
J’ai commencé ma thérapie avec l’envie de guérir et la motivation d’y arriver, mais jamais je ne pensais, même dans mes rêves les plus fous, que les araignées ne me feraient plus peur DU TOUT.
(J’espérais, au mieux, être capable de mieux gérer mon angoisse et de me contrôler suffisamment pour ne plus causer d’esclandres publics.)
Quand le psy a estimé que ma thérapie était finie, et que je n’étais officiellement plus phobique (il y a deux ans de cela), j’avais toujours peur des araignées, mais c’était une répulsion « normale ». Je pouvais en voir une sans hurler, je pouvais les écraser moi-même, bref j’étais une berserker.
(Ma sensation après avoir écrasé ma première araignée, une allégorie.)
Et je ne peux même pas exprimer à quel point ça fait du bien de fonctionner comme une personne normale, sans tics ni rituels. D’enfiler une chaussure sans l’inspecter, de mettre un bonnet sans le secouer, d’aller se coucher juste en se mettant au lit, comme ça!
(BONHEUR TOTAL.)
Donc maintenant, je vis dans la paix et le respect mutuel avec mes potes à huit pattes, et ma vie est un champ de fleurs.
Alors, c’est sûr que c'est pas l'amour fou non plus: j'aime pas en avoir dans la maison, et je ne les touche jamais directement. Mais je fais la même chose avec les mille-pattes, les cafards, et toutes autres créatures dégueu, donc c'est tout de même une grande victoire.
Je terminerai cet article par une note positive à l'encontre de mes frères et sœurs qui se demandent peut-être ce qui cloche chez eux:
La phobie, ce n’est pas une fatalité. Ce n’est pas une faiblesse. C’est une maladie. Ça se soigne, et on en guérit.
Petit sondage de fin d'article (parce que ça m’intéresse):
As-tu une phobie, et, si oui, laquelle?
(Et, si non, JE VEUX TES GÈNES DONNE-MOI TES GAMÈTES JE VAIS FAIRE DES BÉBÉS AVEC.)