(Je te déteeeeeste!!)
Il s'en sera fallu de peu que je ne passe les fêtes blottie sous un pont londonien, à partager un ballon de rouge avec des clochards.
Pourtant j'avais tout prévu. Les trains en retard, les grèves, les effondrements souterrains des tunnels du métro (parce que je suis pas folle, j'ai bien vu qu'ils le rénovaient tous les week-ends, on est dans la panade ma petite dame). J'avais prévu les fouilles à l'aéroport pour si jamais j'ai une tête à fourrer de l'héroïne dans mes fesses, j'avais prévu la file d'attente à la sécurité pour si jamais y'a un kéké qui veut pas enlever ses chaussures, tout ça c'était compris dans le plan. Mais j'avais pas prévu la neige.
Flash-back : on est le 18 décembre, je suis à l'aéroport, assise bien sagement devant le tableau d'affichage des vols, avec mon Coca à 23 euros, ma game boy et mes sacs duty-free-tutti-frutti.
Quand soudain ! Je lève les yeux et il y a écrit en petites lettres rouges : CANCELLED à côté du vol Londres-Bâle. J'arrive au guichet d'information en même temps qu'une foule de personnes pas très contentes.
Le monsieur de l'information porte bien son nom:
- Bonjour, je devais prendre le vol Londres-Bâle mais c'est écrit que c'est annulé.
- Ah bon ?
Une vraie mine d'informations.
Il s'est perdu dans des méandres de discussions téléphoniques, et au bout de dix minutes, il raccroche et m'annonce fièrement:
- Oui, effectivement, le vol Londres-Bâle est annulé.
- Et vous savez pourquoi ?
Là il m'a regardée bouche bée pendant cinq secondes. Et puis il a repris le téléphone.
Déjà à ce moment, je frôlais la crise de nerfs. Quinze minutes plus tard, il annonce à la ronde :
- Les gens qui devaient faire Londres-Bâle, mettez-vous sur le côté, un agent viendra vous escorter hors du terminal.
Sauf que moi je voulais pas aller hors du terminal, je voulais prendre un autre avion et rentrer chez moi.
- Et sinon, les causes de l'annulation du vol ?
- Ah oui. Ça. Eh ben je leur ai demandé mais ils ont pas voulu me dire, ils avaient l'air drôlement occupés. Mais bon, si ça peut vous rassurer, ça fait cinq heures que tout le monde est au courant. Ils avaient juste pas pu l'afficher. Mais ne vous en faites pas, les autres voyageurs sur le vol ont été prévenus au guichet, bien avant vous.
Ah ben ça me rassure alors, je me faisais tellement de souci pour eux. Connard.
Sur ces entrefaites, et avant que j'ai pu commencer à agresser verbalement Monsieur Information ("Quoi qu'est-ce-t'as avec ton air tout content? Tu veux des croquettes?"), arrive un autre agent avec une superbe doudoune orange. Il nous fait signe de le suivre et nous mène par des méandres et dédales jusqu'au guichet Easyjet.
Là, on se fait harponner par une blondasse en uniforme trop serré, qui nous annonce tout de suite la couleur :
- Si c'est pour prendre des places sur un autre vol, c'est pas possible.
- OK, donc on reste vivre à l'aéroport, c'est ça, duconne ? On se fait une tente en papier toilette, on se lave les cheveux dans les lavabos et on vit de restes de sandwiches au poulet ?
- Bon, si vous y tenez, vous pouvez toujours prendre un autre vol chez nous, seulement on a rien avant le 26 décembre. Ça intéresse quelqu'un ?
- Oh oui tiens, ça tombe bien tu vois, j'avais pris un billet le 18 mais j'avais vraiment pas envie de rentrer chez moi si tôt. Ça m'arrange beaucoup plus de rentrer voir ma famille après Noël, j'avais surtout pas envie d'être avec eux, tu me dépannes bien. Salope.
(Par la suite j'ai compris qu'en fait les vols étaient pas complets du tout : c'est parce que, si un vol est annulé et qu'il y a de la place pour le vol du lendemain, Easyjet est obligé de te payer l'hôtel. Donc là ils nous disent qu'ils ont pas de place, et ce qu'on fait ensuite c'est plus leur problème. C'est qu'ils sont malins, les fils de pute.)
Donc la conasse fagotée comme une clocharde m'a dit d'aller voir chez British Airways si j'y étais. Du coup j'y suis allée, et j'y étais.
- Il nous reste de la place sur un vol pour Zurich qui part demain matin de Heathrow.
Miracle.
- Ça fera 250 £ et votre rein gauche, s'il vous plaît.
D'accord, donc c'était pas un miracle.
Comme j'avais quand même bien envie de rentrer chez moi et que ça m'aurait coûté plus cher que ça rien que de rentrer à Kettering, ben j'ai pris mon billet. Sauf que j'étais au mauvais aéroport (décidément j'ai le gène de la loose) donc j'ai encore dû payer 20 £ le billet de bus qui faisait le transfert. Ensuite j'ai cherché un hôtel.
- Alors ceux qui sont proches de l'aéroport, ça vous fait 200 £ la nuit. Sinon tous les autres dans un rayon de 50 kilomètres, c'est 100 £ la nuit. Vous avez pas de salle de bains, pas de toilettes, pas de couvertures, pas d'oreillers, le matelas est posé à même le sol et il est rembourré avec de la paille. Ah, et on a récupéré les draps à l'hôpital, c'est ceux qu'on met sur les morts, mais on les a pas lavés parce qu'il y a pas de lavabo. Vous en dites quoi ?
Donc je me suis retrouvée à l'aéroport d'Heathrow à 19h. Mon avion partait le lendemain, à 7h. Joie.
(Pour ceux qui ont pas compris, j'avais dit non pour la chambre d'hôtel, parce que mon compte en banque me faisait déjà des petits messages clignotants en rouge "Alerte alerte vous nous devez d'la thune" alors ça commençait à bien faire.)
Donc j'avais douze heures à passer dans un terminal muni de huit sièges et d'un café, et c'était tout. De l'autre côté de la barrière de sécurité, c'était le paradis inaccessible, la débauche de restaurants, de magasins et de fauteuils moelleux, mais on ne peut passer la sécurité que deux heures avant le vol, si je tenais l'enculé qui a fabriqué cette loi.
Et encore, j'ai eu la présence d'esprit de me jeter sur le café et de raquer le dernier mini-paquet de chips pour le dîner. Je suis sûre que les gens qui sont arrivés après, ils ont dû faire la gueule, parce qu'il restait que deux yaourts et trois paquets de Mentos.
J'ai aussi, grâce à mon oeil du chasseur (des années d'entraînement à essayer d'empaler les cigognes du voisin avec mes flèches en bois) détecté les seuls sièges qui n'avaient pas d'accoudoirs, et qui permettaient donc de dormir de manière latérale.
Je me suis allongée, j'ai enlevé mes chaussures, j'ai pris mon sac comme oreiller, et j'ai commencé ma nuit, en alternant des passages de dodo / réveil à cause de la nettoyeuse mobile dont les balais passaient à un centimètres de ma tête, ils ont failli me passer les cheveux à la javel / réveil à cause de l'angoisse "et si l'avion de demain ne part pas non plus" / lecture du bouquin le plus déprimant de toute l'histoire des bouquins déprimants (et pourtant j'ai lu des livres sur l'Holocauste, je suis pas une tapette).
Et puis à cinq heures du matin j'ai fait de la contrebande de liquides ni vu ni connu (parce que le jour d'avant, gentille fille, j'avais attendu d'avoir passé la sécurité pour acheter du whisky pour mon papa en duty-free-tutti-frutti. Seulement entre-temps j'avais changé d'aéroport et je devais re-passer la sécurité). Franchement, si j'avais su, j'aurais amené une bombe.
(Là c'est le moment où la CIA vient toquer à ma porte et me torture avec une perceuse. Passons.)
Une fois dans le terminal, je m'apprêtais à rejoindre le reste de la plèbe, quand mes yeux se sont arrêtés sur le panneau "British Airways lounge". Eh ouais, les enfants, si mon billet d'avion m'a coûté la peau des yeux de la tête, c'est parce que c'était en classe business.
Je suis entrée, un peu intriguée, et là, la première chose que j'ai vue, c'est des grands canapés EN CUIR, moelleux à souhait. Je me suis effondrée dedans avec bonheur et volupté, et j'étais bien partie pour dormir les deux heures qu'il me restait, quand j'ai senti une odeur de beurre et de pain chaud. (Rappelez-vous, en 12 heures, j'avais eu un demi-paquet de chips.)
Et là, j'ai levé la tête de mon coussin, et j'ai vu le buffet. Des fruits, du jus, du yaourt, des viennoiseries pur beurre, du pain, de la confiture, huit sortes de céréales, un bar à vins (?), un autre bar rien que pour le champagne (??), encore un autre bar rien que pour les liqueurs, whiskies, vodkas et Grands Marniers (et à ce moment-là je dois vous dire que la business class lounge est uniquement ouverte de 5h du matin à 14h, et que maintenant je comprends pourquoi les hommes d'affaires ont des ulcères).
Bon moi je voulais juste un petit pain et du jus d'orange. Alors j'ai cherché le tableau des prix, y'en avait pas. Et c'est là que j'ai compris où allait tout mon argent.
Du coup, j'ai profité : j'ai mangé des petits pains à m'en faire exploser la panse, j'en ai fourré d'autres dans le sac à dos (discretos), je suis allée utiliser Internet (mais j'ai vite déchanté parce qu'ils utilisaient Internet Explorer version 1.1, y'avait même pas d'onglets!) et puis, surtout, j'ai pris une douche.
Cette douche, elle a compensé mes douze heures à me geler dans le terminal, avec la moitié de mes fesses dans le vide entre les deux chaises, à essayer de dormir avec un pied dans la manche de mon manteau pour avoir plus chaud.
On m'a conduite dans une vraie petite salle de bains, avec toilettes, lavabo, petite tablette pour poser la brosse à dents (d'ailleurs on m'a aussi donné une brosse à dents.) Et la douche, c'était une du genre qui te font comme de la pluie qui tombe sur ta tête, et quand tu réglais les jets d'eau ça te faisait des massages du dos. Et le must du must : y'avait une radio intégrée dans la cabine de douche avec effet surround (bon, là je me suis quand même sentie un peu comme Sarkozy, et c'est pas un sentiment très agréable).
Et puis ensuite j'ai pris l'avion (bon je me suis quand même habillée entre temps, t'imagine pas des trucs) et puis j'ai fait aéroport de Zurich / gare de Zurich / gare de Bâle / aéroport de Bâle, en passant par les trous les pluys paumés de toute la Suisse. (Je tiens quand même à dire que mon train s'est arrêté dans une ville qui s'appelait Mumpf. Je pense que tout est dit.)
Au final, j'aurais attendu 28 heures avant d'arriver chez moi.
Mais rien que pour voir l'Alsace sous la neige, ça valait le coup.
PS : Et ça valait encore dix fois plus le coup quand j'ai ouvert la boîte de ma magnifique bague de fiançailles ! (cliquez ICI et LA) (Professeur Flaxou est le mec le plus romantique de toute la terre). Donc voilà, je suis officiellement fiancée, le mariage est prévu pour aux alentours de 2015, mais promis, vous serez tous invités.
PPS : Si vous aussi vous aimez les bouquins qui vous donnent envie de vous tirer une balle dans le caleçon, je vous conseille vivement "La Route" de Cormac Mac Carthy (à tes souhaits), alias "le livre le plus déprimant de toute l'histoire des livres déprimants".
PPPS : Bon alors oui, c'est vrai que j'ai oublié de le préciser, mais la bague est trop grande pour mon annulaire, et comme les bijoutiers en ce moment faut pas trop les chercher sinon ils te fondent dans un creuset, eh ben j'attends février pour la faire remettre à la bonne taille, et en attendant je la porte au majeur