Au troisième mois, je commençais à m'habituer à mon nouvel état physique, et à rentrer dans une routine.
(Genre j'avais plus besoin d'appeler Flaxou trois fois par jour pour lui demander "Et ça, je peux manger ou pas?")
(Paye ta vie sans toxoplasmose.)
Et donc je pensais que les surprises étaient terminées (faut dire qu'on a eu la plus grosse dès le début, tout de suite, ça met le reste en perspective), mais j'étais pas au bout de mes découvertes.
Par exemple, savais-tu que quand le médecin te prescrit du fer à prendre tous les jours, il omet de dire que ça rendra ton caca tout noir?
(Non, parce que moi, j'aurais bien aimé le savoir.)
(Ça m'aurait évité une recherche Google qui m'a probablement pourri mon algorithme.)
("enceinte caca noir jumeaux problème????")
J'ai aussi découvert qu'on ne peut plus rentrer le ventre quand on est enceinte, et que donc les pantalons deviennent rapidement assez inconfortables. Mais, comme toutes les meufs enceintes pour la première fois, je refusais de passer aux vêtements de maternité, parce que je pensais que les vêtements de maternité, on commençait à les mettre que vers six mois, et j'avais trop peur qu'on me juge.
Et puis Sarah m'a filé un sac avec ses fringues de grossesse, j'ai essayé une de ses jupes avec le tissu élastique en haut, et j'ai décidé que je ne l'enlèverai plus jamais.
(Mais même après la grossesse, hein.)
Ce qui m'amène à la réflexion suivante : POURQUOI est-ce qu'il faut attendre d'être enceinte pour découvrir qu'il existe des fringues jolies ET confortables?
En fait vous saviez comment en faire depuis le début, bande de sales bâtards?
Vous voulez juste qu'on souffre, on est d'accord?
Ah oui, parce que je t'ai pas dit le meilleur : les fringues de grossesse ONT DES POCHES !!
Des vraies poches !
Où tu peux mettre des trucs de ouf, genre un téléphone portable entier !! DANS LA POCHE AVANT !!
Donc je suis d'un côté super dégoûtée de la vie, parce que l'industrie de la mode est clairement en train de nous dire qu'on n'a le droit à des vêtements pratiques que dans le cas où on n'est plus baisables, mais d'un autre côté je suis super heureuse parce que c'est la première fois de ma vie que je suis confortable quand je m'assieds avec un jean, et aussi DES POCHES !
- Je vois pas ce qu'il y a de si incroyable. C'est pas toutes les fringues qui sont confortables et qui ont des poches?
(Oh, Flaxou, petit homme naïf, mais si seulement !)
C'est aussi au troisième mois que j'ai fait mon test de dépistage des trisomies, qui bien évidemment ne pouvait pas se faire normalement, parce que je suis trop putain de fertile et que je peux rien faire comme tout le monde :
- Alors normalement, c'est juste une combinaison d'une l'échographie où on mesure la clarté nucale, et d'une prise de sang où on analyse le dosage des marqueurs sclériques.
- On regarde si la nuque du bébé a la bonne taille, et on analyse le taux d'hormones présent dans votre sang.
(Merci.)
- Alors, j'ai déjà mesuré la clarté nucale, et tout est OK. Par contre, le test sanguin, on ne peut pas le faire en cas de grossesse gémellaire, parce que votre taux d'hormones est trop haut, donc ça fausserait les résultats.
- Mais du coup, on fait quoi?
- On fait aussi une prise de sang, mais il faut aller la faire dans un centre spécial à Schiltigheim.
- Mais, si c'est juste une prise de sang, je peux pas aller la faire dans n'importe quel labo? Genre, au hasard, le labo qui est juste en bas de chez moi?
- Vous pouvez, mais c'est seulement remboursé si vous allez la faire à Schiltigheim.
- Et ça coûte combien?
- 260 Euros.
DONC JE SUIS ALLÉE A SCHILTIGHEIM, HEIN.
J'ai annulé mes cours pour une demi-journée, parce que les gens du labo ne m'ont pas laissé le choix du rendez-vous :
- Rendez-vous mercredi à 10h15.
- Ah, mais ça va pas être possible, je travaille...
- Alors rendez-vous jamais, tchao tchao, amusez-vous bien avec vos enfants mutants.
(Non, évidemment, ce n'est pas vraiment ce que l'on m'a dit.)
(Mais, dans l'essence, c'était un peu ça.)
Donc je me suis levée à sept heures du mat' pour aller gratter mon pare-brise dans le froid, conduire jusqu'à Colmar, attraper un train pour Strasbourg, puis attraper un tram pour Schiltigheim, puis me paumer dans un dédale de rues qui avaient toutes des noms de mecs inconnus.
(Sans déconner, c'est qui, Albert Calmette?)
(Il a inventé des petits calmants, c'est ça le deal?)
(Okay, autant pour moi, il est super important en fait, poursuivez.)
(Mais alors POURQUOI LE RENDEZ-VOUS?)
Comme j'avais mal dormi, je l'avais mauvaise, et j'ai passé un quart d'heure à toiser toutes les nanas dans la salle d'attente en me faisant un méchant monologue interne :
- Chuis sûre que vous habitez toutes Strasbourg.
- Madame Schmidt !
- Qui c'est qui s'est levée à 7 heures ce matin pour choper un train juste pour faire une prise de sang? Pas toi ! Pas toi non plus, chuis sûre !
- Madame Meyer !
- Je devrais passer devant tout le monde. Devant toi. Devant toi.
- Madame Weber !
- Et devant toi aussi, Madame Weber !
Finalement, y'a un gosse en blouse blanche qui est venu m'appeler, il m'a serré la main en mode "Bienvenue, je suis le Docteur Weiss", et j'ai immédiatement pensé "Gamin, t'es le Docteur Doogie, essaye pas de me la faire à l'envers."
(Mais ça servait à rien que je le dise à voix haute, parce qu'il était de toute évidence trop jeune pour comprendre cette référence.)
Bref, Docteur Doogie l'interne m'a demandé si je savais pourquoi j'étais ici, et quoi, en plus d'être un morveux, tu me prends pour une débile?
- Je suis ici pour faire un test DPNI.
- Et vous savez ce que c'est?
- C'est un test pour le dépistage des trisomies.
- Tout à fait, les trisomies 13, 18 et 21, pour être précis.
- Je le savais aussi, hein.
- Pardon?
- Non, continuez.
- On vous a expliqué en quoi consiste le test?
- C'est juste une prise de sang, c'est ça?
- C'est ça, c'est une méthode non-invasive.
- Enfin t'envahis juste mon bras avec une seringue, Doogie.
- Pardon?
- Non, rien.
Et là, j'avoue, Doogie m'a bluffée :
- On vous a expliqué comment interpréter les résultats?
- C'est une histoire de probabilités, moins d'un sur 250, quelque chose comme ça?
- Non, ça c'est pour l'autre test, celui qui mesure le taux d'hormones dans le sang. Pour ce test-ci, en fait, on va analyser l'ADN présent dans votre sang, et les fragments de chromosomes qui s'y trouvent.
- Mais... c'est MON sang que vous allez analyser, pas celui des bébés!
- En fait, pendant la grossesse, il y a des fragments d'ADN des fœtus qui passent dans votre sang, par le biais du placenta. C'est cela qu'on va analyser.
AH DONC JE ME BALADE DEPUIS LE DÉBUT AVEC DES MORCEAUX D'ADN DE MES BÉBÉS DANS MON SANG, TRANQUILLOU BILOU?
Et la science est tellement avancée que les gars arrivent 1) à trouver quels bouts d'ADN sont pas à moi, et 2) à compter le nombre de chromosomes dessus ! C'est pas incroyable cette histoire ?
- Le test est fiable à 99%, et vous recevrez deux résultats possibles : soit il n'y a pas d'anomalie, et vous continuez la grossesse normalement; soit on détecte une anomalie, et là, on préconise une amniocentèse pour en savoir plus.
(Une amniocentèse, pour les curieux, c'est un procédé qui a l'air pas jojo du tout, où on te pique dans le bide avec une aiguille géante pour aller prélever du liquide amniotique directement chez le bébé. C'est pas mal compliqué et un chouïa dangereux, d'où le fait qu'on fasse une prise de sang d'abord.)
Au final, je ne te raconterai (heureusement) pas comment se passe une amniocentèse, parce que j'ai reçu un coup de fil du centre de Schiltigheim l'autre jour qui m'a BIEN FAIT FLIPPER :
- Oui bonjour, c'est le docteur Schmidt du CMCO de Schiltigheim. Je vous appelle parce qu'on a les résultats de votre test chromosomique...
Et là, j'ai eu une seconde de panique pure où j'ai eu le temps de me dire :
"Oh putain le mec m'appelle au lieu de m'envoyer un courrier, c'est la merde, j'ai un bébé trisomique, attends non putain c'est des vrais jumeaux donc j'ai forcément DEUX bébés trisomiques oh bordel oh bordel oh bor..."
- Je vous appelle pour vous RASSURER, les résultats du test sont EXCELLENTS !
OH PUTAIN DUDE MAIS ON T'A JAMAIS DIT QU'IL FALLAIT PAS JOUER COMME CA AVEC LES FEMMES ENCEINTES?
MAINTENANT LES LARMES SONT LANCÉES ET JE LES ARRÊTE COMMENT?
Enfin, le troisième mois a marqué pour moi le début de mes "envies" de femme enceinte – ou plutôt, d'une unique obsession.
Il faut savoir qu'avant d'être enceinte, j'accordais pas vraiment beaucoup de foi à ces histoires d'envies : je me disais :
- Boh, c'est juste que t'as des envies de trucs comme d'habitude, mais t'as l'excuse d'être enceinte, alors tu te fais plaisir au lieu de te raisonner !
(J'veux dire, j'ai pas attendu d'être enceinte pour avoir des journées où je me disais "Si je me fais pas un burger avant demain soir je vais mourir".)
Et.... en fait non.
C'est pas ça.
Et si toi aussi tu en doutes, laisse-moi te conter mon expérience chez Aldi, par un petit matin d'hiver, où je passais dans l'allée des promotions temporaires, et là.
Une bouteille de jus multivitaminé.
Dans une bouteille en VERRE.
(Tu sens le truc fancy.)
J'ai regardé la bouteille, et je ne te charrie pas, ma bouche s'est REMPLIE de salive.
J'étais littéralement en train de baver d'envie devant du jus de fruits.
Du coup, j'ai mis une bouteille dans mon caddie, et j'ai passé le reste des courses à la regarder du coin de l'oeil, en devenant progressivement de plus en plus fébrile.
(Le temps que je passe à la caisse, j'en avais les mains qui tremblaient.)
J'ai emballé mes courses, je les ai foutues dans le coffre, j'ai attrapé ma bouteille de multivitamine, je me suis installée derrière mon volant, j'ai verrouillé les portes, et j'ai descendu un-demi litre de jus en deux gorgées, comme ça, sur le parking du Aldi.
(On aurait dit les poivrots qui sortent du Dia et qui se descendent direct une canette de 8°6,
Depuis, j'arrive pas à m'arrêter, je presse trois kilos d'oranges par semaine, je me suis achetée un mixeur pour faire des smoothies, j'achète les grenades à la palette, bref, l'heure est grave.
L'heure est grave, surtout, parce que j'ai fait l'erreur de mentionner cette anecdote à ma sœur (ce qui l'a faite rigoler), mais, manque de bol, ma mère était à côté, et là, c'était la fin du monde :
- Tu bois du JUS DE FRUITS ??!
- Ben oui.
- Mais le jus c'est du PUR SUCRE ! DU PUR SUCRE CHARLOTTE !
- Oui, je sai...
- Le sucre c'est du poison ! C'est pire que de fumer ! C'est pire que de prendre de la cocaïne ! J'ai vu un documentaire ! J'ai une copine naturopathe !
- Je ...
- TU EMPOISONNES TES ENFANTS, CHARLOTTE !!
(Et non, pour une fois, je n'exagère pas, c'est mot pour mot ce qu'elle m'a dit.)
Et je vais couper court aux gens bien intentionnés qui auraient envie de me dire "Ouais, alors c'est pas pour faire le relou, mais elle a un peu raison ta maman, le jus de fruits c'est effectivement plein de sucres, et il faut pas en abuser" : oui, je le sais (ma mère m'a forcé à regarder son documentaire).
Cependant, étant donné que j'ai déjà tiré un trait sur :
- l'alcool
- le thé
- le soda
- la viande saignante
- le foie gras
- le saumon fumé
- les sushi
- le saucisson
- les surimi
- la salade vigneronne de ma mamie
- les œufs à la coque, les œufs pochés, et les œufs au plat
- le magret de canard
- le jambon sec ou fumé
- la mayonnaise
- la mousse au chocolat
- le tiramisu
- les tisanes à l'hibiscus
- TOUS les fromages à pâte crue
- les fondants au chocolat (tsé ceux avec le cœur coulant)
- lécher le bol quand je fais des brownies
- et, le pire : manger des pleines poignées de pâte à cookie crue au-dessus de l'évier (AKA mon truc préféré dans la vie)
Alors j'estime que j'ai quand même le droit de me faire plaisir sur UN truc, merci bien, je vais de ce pas me servir un verre de jus de grenade, bonsoir.
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