dimanche 11 mai 2014

Vis ma vie d'immigrée au pays où on aime les immigrés


(Ceci n'est pas un photoshop.) 

(En Nouvelle-Zélande, on n'a peut-être pas beaucoup d'intellectuels, mais on sait élever les moutons, nom d'une pipe!)

Quand j’étais petite j’habitais dans un village de deux mille habitants, où tout le monde se connaissait, et où tout le monde venait soit directement du village depuis six générations (cf. ma famille, alias « les gens respectables ») ou bien venaient des villages alentour dans un rayon de vingt kilomètres (alias « les étrangers » ou « les ennemis », selon le côté des Vosges duquel ils se situaient).

(Kaysersberg est le dernier village de la vallée dans lequel on parle alsacien, tu montes 500 mètres plus haut après la cartonnerie et c’est Hachimette, où on parle le patois Welche (alias « la langue de l’intérieur » et donc fortement déconseillée.))

(Mon papy vient de Fréland, à six kilomètres de Kaysersberg, et lui et ma mamie ne parlent pas la même langue.) 

(Du coup ils sont obligés de communiquer en français tout le temps, pff, galère.) 

(Ah bah oui Mamie mais si on aime l’exotisme après faut pas se plaindre.)

Aujourd’hui je vis à Auckland, une métropole d’un million et demi d’habitants, où tout le monde se connait quand même.

Genre je peux pas aller sur Queen Street sans tomber sur quelqu’un que je connais (et je connais genre trente personnes dans tout le pays, donc admire un peu l’exploit).

Ou encore, samedi dernier, j’ai dit merci au chauffeur de bus en sortant a Britomart (car oui, au pays des Bisounours, on dit merci au chauffeur de bus, genre c'est pas son boulot de te conduire, il fait ça juste par bonté d'âme) (pardon mais hypocrisie complète, personne ne dit merci au contrôleur de train quand il vient poinçonner ton ticket), et le chauffeur m’a répondu:

- Travaillez bien, je vous revois mardi!

Soit il a reconnu mon uniforme, soit c’est un stalker (dans tous les cas je vais prendre ça comme un compliment).

Ou mieux encore, récemment je faisais beaucoup la cuisine parce que j’ai plein de jours de congé que je devais prendre avant qu’ils périment, du coup on a passé deux semaines sans commander à manger chez le Thaï du bas de la rue. 

Eh ben l’autre jour Professeur Flaxou est allé chercher un curry et un Yum Neau et s’est fait accueillir comme un héros par la dame de la cuisine qui, je cite, « commençait à s’inquiéter » et nous a offert des beignets à l’ananas tellement elle était contente qu’on était toujours en vie.

(Et le pire c’est que ce takeaway a des clients en permanence, y’a tout Mount Wellington qui mange là-bas et même des gens qui viennent des quartiers alentour.) (Bon après c’est vrai aussi qu’elle voit nos têtes tous les trois jours, mais quand même.)

Donc, Auckland, tu l’auras compris, est un grand village. 

Par contre, à la différence du village dans lequel j’ai grandi, Auckland est énormément cosmopolite. On n’y trouve pas seulement des Kiwis pur souche, mais aussi, bien évidemment, plein d’immigrés des quatre coins du Commonwealth : quelques Australiens (même si l’immigration se fait plutôt en sens inverse dans ce cas), des Britanniques, des Irlandais, des Sud-Africains qui pour une raison inexpliquée sont tous massivement installés au Nord d’Auckland (t’arrives au North Shore et ça change d’accent, c’est très rigolo) et des Américains, qu’on reconnait facilement à leur manière de hurler à tous les vents que les gens en Nouvelle-Zélande sont SOOOO NIIIIIICE et que tout le pays est SOOOO CUUUUUUTE.

(Je mène actuellement l’enquête sur le fait que tous les Américains que j’ai rencontré depuis mon arrivée en Nouvelle-Zélande sont végétariens – ma théorie est que les Etats-Unis les ont expulsés pour trahison à la patrie quand ils ont refusé de manger du bacon.) (Le gouvernement a dû penser qu’ils étaient musulmans.)

On trouve aussi à Auckland pas mal de Russes et quelques Européens de-ci de-là, principalement des Allemands et des Français (que comme par hasard je croise TOUJOURS dans des endroits où on vend du vin – sérieusement les gars, faites un effort sur les clichés, ça devient gênant là).

Enfin, on trouve à Auckland toute une pléthore d’Asiatiques (Indiens, Chinois, Thaïlandais, Coréens, Taiwanais, Malais, Philippins) et un nombre assez impressionnant d’immigrés de plein d’îles du Pacifique dont je n’apprends l’existence que maintenant (Fidji, Tonga, Samoa, Vanuatu, Palau, Kiribati, Tuvalu, et j’en passe).

(Fun fact : il y a plus de Samoans en Nouvelle-Zélande qu’à Samoa.)

Au total, pas moins de 23% de la population Néo-Zélandaise est née à l’étranger, et la grande majorité de tout ce beau melting pot vit à Auckland.

Et je dois dire que c’est admirable de voir si peu de racisme ordinaire émanant des Kiwis vivant à Auckland et confrontés a des immigrés toute la sainte journée, même si j’ai déjà plusieurs fois eu les petits poils de mes bras qui se hérissaient en entendant des conversations du style « Ah mais les Samoans c’est des paresseux, ils préfèrent rester chez eux à faire des enfants et à toucher des allocs plutôt que d’aller travailler comme les honnêtes gens! ».

(Oui, qu’on se le dise, les Polynésiens sont les Africains de l’hémisphère Sud sur le tableau des clichés de gros con.)

Malgré ces quelques avis de pilier de PMU dont on se passerait bien, la majorité des Kiwis s’accorde à dire que, sans les immigrés, ce pays irait complètement à vau-l’eau, et nombre de Néo-Zélandais ont encore la décence de se souvenir qu’ils étaient des immigrés eux-mêmes il n’y a pas si longtemps.

(D’ailleurs, de manière très paradoxale, les gens les plus racistes que j’ai rencontré en Nouvelle-Zélande étaient tous… des immigrés.) 

(Mais mec, si t’aimes pas les étrangers, n’en deviens pas un toi-même ! Ça n’a aucun sens !)

Le gouvernement, quant à lui, abonde de mesures que je rêve de voir fleurir en France, du genre fournir des interprètes aux immigrés parlant mal l'anglais pour les aider dans leur recherche d’emploi ou leurs démarches administratives (une initiative balayée en France avec le sempiternel « Ah bah si y veulent viv’ en France y z’ont qu’a causer français comme tout l’monde hein ! »)

En somme, ça me rend très heureuse de me dire que les petits Aucklandais vont grandir au milieu d’une belle diversité ethnique et culturelle.




(Paix et amour.)

Et c’est à la fin de ce discours que je faisais à ma mère sur Skype que cette dernière m’a répondu :

- Ah ben ouais, ça leur évitera de faire les mêmes bourdes que toi quand tu étais petite !

Et de me conter une histoire dont j’ignorais l’existence : ma première rencontre avec une personne de couleur.

Donc j’ai deux ans, ma maman m’amène au supermarché de Colmar, et dans la file d’attente, derrière nous, se trouve un monsieur noir. Ma maman remarque soudain que je fixe l'homme en question avec des larmes plein les yeux et le menton tremblant, et me demande ce qui se passe. Ce à quoi je réponds :

- Le monsieur…maman…le pauvre monsieur.
- Ben quoi, le monsieur ?
- Il a un gros bobo.

Ma mère, qui commence à être un peu gênée, me dit :

- Mais non ma chérie, il va très bien le monsieur.

Et moi, je sanglote :

- Non ! Il est tout brûlé !

Tout ça à deux pas du mec qui évidemment avait tout entendu, puisque les petits enfants ne sont pas exactement renommés pour leur sens de la discrétion.

Finalement, le type en question ne s’est pas vexé et est venu m’assurer personnellement qu’il se portait bien, même si ma mère s’en souvient encore comme du « pire moment de honte que m’aient infligé mes enfants, et pourtant j’en ai vu des belles ».

Professeur Flaxou, ayant entendu l’histoire, s’est donc allègrement foutu de ma gueule pendant quelques jours, jusqu’à ce qu’un beau matin, skypant avec sa mère :

- Oh ben Flaxou tu peux bien te marrer, tu m’as fait un coup encore pire !

Et ma belle-mère de nous raconter l’histoire de Professeur Flaxou, âgé de 3 ans, qui, dans la salle d’attente du dentiste, pointe du doigt une patiente black en disant très fort :

- Regarde, maman, la dame elle peut pas voir !

Car dans sa logique infaillible il pensait que les noirs étaient tous aveugles, voilà voilà.



Alors je ne sais pas lequel de nous deux gagne la palme du plus beau commentaire raciste, mais personnellement je trouve que, dans les deux cas, c’était de la logique de compète.

(Je pense que nos enfants seront mal barrés au niveau du Q.I.)

1 commentaire:

  1. Juste pour dire que lire tes articles me donne de plus en plus envie de vivre en Nouvel-Zélande!
    Et petite anecdote: je viens d'un village de 300 habitants (tu peux pas me test'), et j'habite maintenant au Brésil dans une ville de 5 millions d'habitants, et je dis TOUJOURS bonjour/merci au revoir aux chauffeurs de bus. Question de principe (et un peu de connerie aussi).
    La première fois que j'ai pris le métro à Paris j'ai même salué les gens dans la rame. Oui, apparemment moi je n'ai pas besoin de mes enfants pour me foutre la honte...

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