Et sinon l’autre jour j’étais à mon premier concert de metal.
Enfin, techniquement, j’avais déjà été à plusieurs concerts de hard rock de papy (Scorpions, Deep Purple, Ten Years After, Alice Cooper) – mais je les compte pas vraiment comme des concerts de metal, puisque, la moyenne d’âge sur scène et dans la fosse étant de 60 ans au bas mot, l’ambiance était moins au pogo sauvage et plus à deux-trois bras levés et, pour les plus foufous, à des petits hochement de tête lors de refrains particulièrement entraînants.
Et puis j’avais aussi accompagné Flaxou une fois à un concert d’Apocalyptica à la Laiterie, mais je vois plus ça comme du classique que comme du metal.
(Les gens étaient assis pendant tout le concert.)
(ASSIS !)
Mais depuis que je me suis mise au folk metal, j’avais bien envie de me faire un vrai concert.
Sauf que la Nouvelle-Zélande est le pays le moins metal du monde.
C’est plus une vibe de plastique mou, si tu veux te faire une idée.
Faut le savoir, la tendance « Bisounours » des Kiwis se reflète pas mal dans leur goûts, et ça donne donc : de la guimauve, de la guimauve, de la guimauve. Ça va des tendances musicales (pop mièvre et surtout bien lisse et sans controverses – plutôt Meghan Trainor que Miley Cyrus) aux tendances fringues (mou et confortable), en passant par les tendances culinaires (cf. la pavlova, le dessert national, qui est… une grosse meringue).
Du coup, la scène metal, qui a déjà tendance à être relativement underground en Europe, là, elle est même plus underground, elle est six pieds sous terre.
On est passés d’un pays où il faut aller sur des radios consacrées pour écouter du metal, à un pays où les radios ne passent tout simplement PAS de metal.
Ni de rap.
Ni d’électro.
Ni quoi que ce soit qui pourrait avoir des bruits trop forts ou des gros mots dedans.
(C’est l’envers du décor du pays des Bisounours : la dictature de la gentillesse.)
(Après, on est d’accord qu’on peut faire pire, niveau cadre de vie.)
(« Han, je peux même pas jurer en public, les gens sont trop aimables tout le temps et ça les blesserait dans leur petit cœur de chaton ! Ma vie est un enfer ! »)
Bref.
Tout ceci fait qu’on était bien contents, Flaxou et moi, quand on a appris qu’Alestorm, nos pirates préférés, venaient faire une tournée en Nouvelle-Zélande et en Australie.
(Ce clip te donne une bonne idée de l'ambiance.)
C’est donc bien guillerets et pleins d’entrain qu’on a bravé les vents à 100 kilomètres heure (les joies de vivre en zone subtropicale) pour se rendre au Whammy Bar sur K’ Road.
Petit aparté pour les non-Aucklandais (je sais qu’il y en a deux-trois parmi vous) : K’ Road, c’est un peu une institution à Auckland. C’est une rue du centre-ville, perpendiculaire à Queen Street, et de son vrai nom Karangahape Road, mais c’est vraiment que pour les services de la poste, parce qu’ici, tout le monde la connaît sous son petit nom de K’ Road (prononcez « Qu’eille rwaude »). À tel point que même les commerces situés dessus indiquent « K’ Road » dans leurs coordonnées, plutôt que « Karangahape Road ».
(Oui, même les rues ont des surnoms dans ce pays.)
(Apparemment ça leur suffit pas de raccourcir tous les prénoms de tous les gens, cf. les trois millions de "Dave", "Rob", "Phil" et "Mitch".)
Bref, K’ Road, c’est un peu le coin sulfureux d’Auckland. La rue est progressivement passée du statut d’artère commerciale dans les années 1950 à coin mal famé dans les années 70, quand tous les Aucklandais ont commencé leur exode massif vers les « suburbs » et que K’ Road est devenu une rue à putes et à dealers. Puis, apres les années 90 (quand les Aucklandais ont réalisé qu’en fait c’était sympa de vivre en centre-ville), K’ road est progressivement devenue l’épicentre de tout ce qu’Auckland parvient à conjurer comme contre-culture.
En gros, on y trouve maintenant des salons de tatouage, des galeries d’art alternatif, des clubs LGBT, des bars punk/électro/goth/metal, et encore quelques bordels pudiquement déguisés sous des noms comme « Exotic Club ».
(Fun fact : la prostitution est tout à fait légale en Nouvelle-Zélande, mais les Kiwis sont tellement incroyablement prudes qu’ils tomberaient raide morts s’ils devaient appeler une chatte une chatte, donc, bien que parfaitement en règle, les bordels ne portent jamais le nom « bordel », mais toujours quelque chose du type « massages exotiques » ou « club spécialisé ».)
Mais comme la hipstérisation d’Auckland est en bonne marche depuis le début des années 2000, on trouve aussi sur K’Road force restaurants végétariens, boutiques de fringues vintage, et une masse incroyable de « cruelty-free shops », qui auraient franchement plus vite fait de s’appeler « Je suis une meilleure personne que toi ».
(Sans déconner, ils vendent des T-Shirts à messages genre I support animal rights, ou des panneaux décoratifs This house is 100% cruelty-free. Sérieusement ? Tu pourrais aussi bien avoir un panneau chez toi pour dire « On va vous prendre la tête toute la soirée », le message serait le même.)
Bref bref Brejnev.
On a eu du mal à trouver le Whammy Bar, parce qu’il n’y a strictement aucun signe extérieur que le bar existe, et que le numéro de rue n’est pas indiqué non plus. On a juste suivi les gens avec des chapeaux de pirate et on a attendu dehors avec eux.
(Je m’attendais presque à voir le bar surgir par magie entre deux bâtiments, comme la maison de Sirius Black.)
Après quelques minutes de glandouille devant les vitrines des magasins de hipster (durant lesquelles j’ai appris avec effroi qu’il existait des livres de recettes végétaliennes pour CHIENS) (Est-ce que ce monde est sérieux ?), on est entrés dans une minuscule pièce six mètres sous terre, tellement basse que Fla pouvait toucher le plafond en levant la main, et en fait c’était le bar.
On a vite compris que c’était un bar « grunge » quand ils ont filé une bière à Fla dans un gobelet en plastique, et que, quand j’ai demandé un Coca, j’ai reçu une canette tiède et pas de verre.
(Même pas ils ont peur de l’urine de rat.)
(Trop des punks, les gars.)
C’était tellement un bar de punks que j’avais reçu aucune programmation quand j’avais acheté mes tickets : ca disait juste « Alestrorm’s PirateFest with Lagerstein » et « Bar opens at 8:30 ». Donc on s’est pointés à 20h30 en se disant que la première partie (Lagerstein, donc, qu’on ne connaissait pas) arriverait vers 21h.
À 21h, un groupe arrive sur scène, joue 6 chansons, c’était moyen, mais bon, c’est l’avant-groupe quoi.
À 21h45, un groupe de mecs habillés en pirates arrive sur la scène, on se dit « Ouééé chouette c’est Alestorm ! ». Le seul truc chelou, c’est que le chanteur avait pas du tout la même tête que sur l’affiche du concert, mais ressemblait à Tupac. Bon, je me suis dit, il a changé de coupe de cheveux. Les gars commencent le concert, c’était du pirate metal, c’était sympa, par contre :
- C’est bizarre, je reconnais aucune des chansons.
- Moi non plus. Ça doit être de leur nouvel album.
Et puis, à 22h15, les gars finissent leur chanson, et se cassent de scène sans un mot. Pas de rappel, rien.
Donc, grosse incrédulité chez Fla et Cha les neuneus :
- Mais…c’est fini ?
- Pas possible ! Ils ont joué genre cinq chansons ! Et même pas des connues !
- Mais les techniciens sont en train de démonter tout l’équipement.
- Alors…qu’est-ce qu’on fait ?
- Ben… on rentre ?
Mais là, j’étais pas d’accord.
Je veux bien que les concerts en Nouvelle-Zélande finissent tôt pour que ce peuple entier de poules puisse aller au lit à 21h30 le samedi soir, mais là, on était sur K’ Road, merde ! Ils font des RAVES sur K’Road ! Y’a des techno parades sur K’Road ! Je refuse de croire qu’on concert de pirate metal s’arrête à vingt-deux heures sur K’Road!
Donc je suis allée voir un barman, et s’en est suivie la conversation la plus humiliante de mon existence :
- Excusez-moi… le concert est fini, là ?
- Ben non.
- Mais… ils reviennent quand, Alestorm ?
- Ils sont pas encore arrivés.
- ….
- Mais… c’était pas Alestorm, juste là?
- Ben non. C’était l’avant-groupe, Lagerstein.
- Mais….c’était pas les gars du tout début, Lagerstein ?
- Ah non, ça c’était juste des potes à nous, on leur a dit qu’ils pouvaient jouer deux-trois chansons pendant que les vrais groupes se préparaient.
- Aaaaaaah, d’accord !
- …
- Et sinon, il faut combien de shots de tequila pour noyer sa honte?
- Je dirais six.
- Je vais vous en prendre huit.
(Il faudra bien ça)
(On n’a pas encore choisi.)
Au final, c’était un concert super cool
J’étais assez étonnée qu’un groupe comme Alestorm, qui est quand même assez connu, accepte de venir jouer au fin fond d’une taverne du bout du monde pour même pas cent pékins, alors qu’ils ont joué devant 20 000 personnes au Hellfest cette année, mais ils étaient plein d’entrain
Ce qui n’était pas si évident, quand on sait qu’on était environ cent personnes dans 80 mètres carrés, au sous-sol d’une cave sans fenêtres ni ventilation.
Bref : ça fouettait la transpi et les murs dégoulinaient de l’humidité conjointe des respirations haletantes de tous les métalleux en train de headbanger furieusement.
(Mais c’est bien, ça fait du fitness.)
(Normalement je paye un abonnement à la gym pour transpirer comme ça.)
Comme c’était mon premier vrai concert de metal, j’étais bien contente d’avoir Flaxou le vétéran avec moi :
- Y’a de la place tout devant, super !
- Non. Tu veux pas aller tout devant. C’est là que ça pogote.
- Oh c’est bon, y’a genre vingt kékés, ça peut pas être bien méchant, si ?
(Réponse : si.)
Et comme le concert a commencé direct avec un mini-wall of death, j’ai vite perdu Professeur Flaxou, qui m’a regardé, a crié « Han nan j’ai oublié mon protège-dents ! », puis s’est jeté dans la masse de cheveux et de bière en hurlant « YOLOOOOO ».
Du coup, je me suis vite repliée sur ma stratégie habituelle lors des concerts, à savoir : trouver un groupe de gens petits et bien placés, et leur dire « J’peux squatter avec vous ? Je vois rien parce que je suis trop minuscule ».
En général, je peux compter sur la solidarité du peuple des petits (on est toujours plus soudés parmi les foules). Mais ce concert-là a dépassé toutes mes attentes.
Parce que quand j’ai avisé un groupe de petits perchés sur une banquette et que je me suis approchée, j’ai vu que l’un des gars avait un tatouage en elfique autour de l’avant-bras. Alors j’ai dit « Vous avez de la place pour un petit Hobbit qui voit rien ? », et avant de comprendre ce qui se passait, j’étais debout sur la banquette, avec une bière dans la main, des bras suants autour de mes épaules, et trois petits barbus qui m’entouraient en scandant « ONE OF US ! ONE OF US ! »
(Ne sous-estimons jamais le pouvoir des nerds.)
Vers la fin du concert, Flaxou (qui avait eu sa dose de pogo après s’être malencontreusement pris un coup de coude dans les côtes) est venu me retrouver chez mes nouveaux potes, et on a fait du headbanging tous ensemble, c’était beau.
Y’avait aussi les gars de Lagerstein qui ont démarré une chenille dans le public, des filles habillées en courtisanes qui sont venues danser sur scène pendant « Wenches and Mead », un gars qui a essayé de faire un bain de foule et qui s’est retrouvé écrasé contre le plafond comme une mouche, le plancher a failli s’effondrer quand tout le monde a piétiné le sol pendant « Wooden Leg », et je me suis faite fouetter le visage par au moins cinq chevelures différentes.
C’était drôlement chouette.
Bémol : les effets secondaires d’un concert de metal quand on est postés à cinquante centimètres des amplis :
- EH C’ÉTAIT UN BON CONCERT HEIN ?
- COMMENT ?
- JE DIS : C’ÉTAIT UN BON CONCERT !
- OUI, JE MANGERAIS BIEN UN BURGER. AVEC DES FRITES ?
- AH OUAIS, ILS AVAIENT BIEN LA FRITE !
- COMMENT ?
Bémol plus traître : Papy et Mamie les métalleux le lendemain matin :
- Ooooh, ma nuque !
- Oooooh, mes côtes !
- J’ai des ampoules plein les pieds.
- J’ai tellement mal au crâne.
- D’où sort ce bleu sur mon mollet ?
- Qu’est-ce qui sent la sueur rance ?
- Y’a de la bière sur mes chaussures.
- Pourquoi y’a des frites dans le lit ?
C’était une belle soirée.
- On se recouche ?
- D’accord, mais pas avec les frites quand même.
- Nan mais ça c’est bon, je les ai mangées.
- Oh t’abuses Fla !
- …
- J’avais faim aussi. Merde.
Ils ont traversé la planète pour vous ! wahou ! (merci pour ta carte, tu déchires ;) )
RépondreSupprimerClem' (et Oliv' )
Comme promis, ma haine intense : Tu as vu Alice Cooper en concert ? Je suis trop jalouse !!! Pareil pour Scorpions, mais Alice Cooper, c'est de la bombe quand même... CQFD : Je te hais.
RépondreSupprimerEn revanche, je compatis pour l'expérience du concert. J'ai moi aussi eu ce genre d'expérience lors de mon premier concert hard rock. J'étais allée voir Iron Maiden toute seule et pas d'ambiance, chansons inconnues, pas de présence... Alors que les lumières se sont rallumées, j'étais dégoutée. Mais comme les gens restaient, je suis restée. Et j'ai bien fait ! C'était un concert super ! Mais longtemps est resté le souvenir que j'avais failli partir avant que le concert ne débute...
Et tant mieux si vous avez pu profiter de votre groupe préféré en concert ! (et à un concert d'ACDC, j'ai vu une nana assise pendant TOUT le concert et n'a bougé la tête que pendant le rappel... C'était effrayant)
L.E.
Confondre un vrai groupe Métal avec des gratouilleux, il faut quand même le fer ....
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