samedi 13 février 2016

L'Instant Kiwi: Un long week-end au Taranaki


Comme tu le sais, pendant mon exil en célibataire, je craquais un peu.

(C’est dur la vie quand on n’a pas de mec et pas de chat.)

Comme en plus Flaxou m’avait abandonnée pour les deux longs week-ends de février, je faisais de mon mieux pour passer le plus de temps possible dehors, histoire d’avoir une vie sociale au moins une fois dans l’année.

Donc, quand des potes m’ont proposé de passer le week-end de Waitangi à New Plymouth, je n’ai pas hésité.

Pour les non-kiwiphones, je m’explique : Waitangi Day, c’est le 6 février, et c’est un peu l’équivalent de la fête nationale en Nouvelle-Zélande. (Sauf qu’ils célèbrent pas leur indépendance, vu qu’ils l’ont toujours pas.) (Sujets de la couronne britannique FOREVAH.) Cette année, Waitangi Day tombait un samedi, et comme on est dans le meilleur pays du monde, on y applique la meilleure loi de l’univers, à savoir que, si un jour férié tombe un samedi ou un dimanche, il est reporté au lundi suivant.

(Du coup on a LA RACE de longs week-ends.)

(Qui veut lancer une pétition pour faire la même chose en France ?)

(Et avant qu’on vienne me dire « Gna gna mais en France on a déjà plus de jours fériés que tout le monde », TROP PAS. Il y en a onze sur toute l’année – je ne compte pas les deux jours de rab qu’on a en Alsace – et onze en Nouvelle-Zélande, alors y’a pas de raison.)

Et donc mes amis avaient décidé de se faire un petit week-end relaxant à New Plymouth, ici :



Sauf qu’en fait leur notion de relaxation incluait escalader un volcan à mains nues.

Ce volcan, c’est le Mont Taranaki, que voici sur une photo prise d'en haut :




(Tu conviendras que c’est pas de la gnognotte.)

Le Taranaki culmine à 2500 mètres d’altitude, ce qui en fait le second plus haut volcan du pays (juste derrière le Mont Ruapehu). C’est un volcan « jeune » d’environ cent mille ans, et techniquement toujours actif, même si sa dernière explosion remonte au dix-neuvième siècle et qu’ici, on le considère donc comme éteint. (Vu qu’on considère un volcan « éteint » du moment qu’il a pas explosé dans les trois dernières années.)

(Paye ton pays sur une faille océanique.)

Le Taranaki est situé au bord de l’Océan Indien, très loin des autres grands volcans de l’Ile du Nord (qui sont tous au milieu, dans la région de Taupo). La légende maorie dit qu’il se trouvait autrefois aussi dans la région de Taupo, mais qu’il s’est pris la tête avec les autres volcans parce qu’ils voulaient tous pécho le volcan Pihanga (qui est un volcan fille).

(La spiritualité maorie part du principe que chaque chose est dotée d’une âme, et les montagnes sont particulièrement sacrées, donc si les volcans ont des attributs humains, c’est normal.)

Bref, c’est le Tongariro qui gagna la bataille, infligeant de profondes blessures à Taranaki, qui prit la fuite vers l’Ouest (formant dans son sillage les gorges de la rivière Whanganui), fit une pause a Ngaere (formant la dépression qui est aujourd’hui le marais Te Ngaere), puis resta pétrifié par le soleil levant à l’endroit où on le trouve encore aujourd’hui.

Le mont Taranaki apparaît la plupart du temps entouré de nuages, et la légende dit que c’est le volcan qui pleure son amour perdu.

De son côté, les explosions fréquentes du Tongariro seraient un avertissement pour Taranaki, histoire de lui dire en langage volcan qu’il a pas intérêt à essayer de revenir pécho sa go.

(C’est un peu un mélange de Shakespeare et de Booba.)

Bref bref.

Le Taranaki, comme son ennemi « Mount Doom » Tongariro, est aussi célèbre au cinéma, puisque c’est lui qu’on peut voir en arrière-plan en train de faire semblant d’être le Mont Fuji dans ‘Le Dernier Samouraï’ avec Tom Cruise.

(De toute manière, ce film n’en était pas à une erreur près.)

 Et, comme pour le Tongariro, plusieurs milliers de personnes viennent faire l’ascension du mont Taranaki chaque année.

Et moi, forte de ma victoire sur le Tongariro l’an passé, je me suis donc exclamée :

- Ha ouais, trop cool, j’adooore escalader des volcans ! Trop fastiche fastoche.

Oui sauf que non, ferme bien ta grande gueule, Charlotte du passé.

Parce que le Tongariro, même Dora l’Exploratrice arriverait à le grimper (et son petit sac à dos aussi). Mais le Taranaki, c’est plus du domaine de Stallone dans ‘Cliffhanger’, si tu vois le délire.



(Mais peut-être avec une pose moins 'héroïne de comics')

Le Taranaki est d’ailleurs la deuxième montagne la plus meurtrière de Nouvelle-Zélande (après le Mont Cook, sur l’Ile du Sud), et compte pas moins de 82 morts à son tableau de chasse.

(Bon, 82 morts depuis 1891.)

(Ça fait moins d’un mort par an.)

(Les grille-pains tuent plus de gens.)

Bref bref Brejnev.

Et pourtant, je suis pas partie avec ma bite et mon couteau, je suis quand même allée me renseigner sur la rando auprès du DOC (Department of Conservation – le ministère des parcs nationaux, en gros). Sauf que comme ils m’ont sorti les mêmes intimidations que pour le Tongariro (à base de « Essaye même pas tu vas mourir, y’a que Bear Grylls et Sir Edmund Hillary qui sont arrivés au sommet »), du coup, ben je les ai pas écoutés.

(C’est la fable classique du garçon qui criait au loup.)

Du coup, je me suis retrouvée à six heures du matin avec mes amis (qui, dois-je le préciser, sont tous des sportifs de l’extrême qui font des triathlons tous les week-ends) au pied du volcan – et littéralement au PIED. 



C’est-à-dire qu’on démarrait la rando à 900 mètres d’altitude, et qu’on devait grimper jusqu’à 2500.

Sachant que la balade fait douze kilomètres aller-retour, ça nous fait grosso modo 1600 mètres de dénivelé sur 6 kilomètres.

La première partie commence du parking au pied du volcan jusqu’à un refuge à 1500 mètres d’altitude, et c’était somme toute pas trop difficile, parce que, certes, c’était MEGA RAIDE, mais on était encore au stade où y’avait de la végétation, et où la terre était bien dure et compacte sous nos pieds – y’avait même des passages avec des petites marches pour qu’on se fatigue pas trop nos petits petons.



Bref, mes potes ont tracé comme pas permis, et ont fait toute la première partie en une heure.

(Moi, il m’a fallu une heure et demie – je suis une petite patate, pas un Viking.)

Et après, on a débarqué dans un espèce de crossover de tous les endroits galère de la Terre du Milieu.

Ça a commencé par ce que j’ai instantanément renommée ‘les escaliers de Cirith Ungol’ – 500 mètres de dénivelé, et plus de 400 marches (oui, on les a comptées) qui serpentaient au milieu d’un ravin.



Sachant que, comme j’ai des jambes de lutin et que les escaliers, c’est jamais mes amis, pour moi c’était un peu ‘le Taranaki – Nigthmare Mode’.

(J’ai gravi les marches à deux à l’heure en me répétant « Tu peux le faire, tu peux le faire, tu es le Dovakhiin, une fois en haut tu vas dérouiller du dragon et ça va être super épique ».)

Une fois en haut des marches, j’ai fait une petite pause, parce que je sentais mon cœur battre dans mon visage et qu’apparemment c’est signe qu’on va mourir le temps de faire une jolie photo :


Et surtout parce que c’était la limite de la végétation, et qu’au-delà, il n’y avait plus rien que des cendres.

(J’ai appelé cette partie de la rando ‘Ashes and dust and thirst there is, and pits, pits, pits’.)

Et parlons-en, des cendres, parce qu’on a enchaîné avec les 90 minutes les plus longues de ma vie entière, alias le temps qu’il m’a fallu pour grimper TROIS CENT MÈTRES.

Parce qu’on devait avancer dans des scories, soit un mélange de graviers et de cendres volcaniques, et c’est un peu comme de marcher dans du sable ou dans de la neige, mais en rajoutant une pente glissante et des heures de fatigue dans les pattes.



(Ça me rappelait furieusement les fois où je dois échapper à des zombies en rêve, mais que j’arrive pas à courir, et puis ils me rattrapent et ils me déchiquettent en morceaux.)

(Donc en fait, c’était exactement comme de vivre mon pire cauchemar pendant une heure et demie.)

(FUN FUN FUN FUN.)

Autant te dire que je contemplais l’idée de tourner les talons et de rentrer à la voiture tout au long de ce passage – surtout quand je levais les yeux après dix minutes d’agonie pour me rendre compte que j’avais PAS AVANCE DU TOUT, puisqu’à chaque pas je m’enfonçais dans les cendres et je reculais un peu.

(Oui, Sisyphe, c’est moi, non je n’ai pas changé…)

J’étais arrivée au stade d’hystérie où je fantasmais sur l’idée de me laisser tomber dans ces bâtardes de cendres en hurlant de rage et de rouler jusqu’en bas de la pente en fauchant tous ces fils de pute de randonneurs sur mon passage, quand on est enfin arrivés sur un terrain rocheux.

(J’ai jamais été aussi heureuse de voir des cailloux de toute ma vie.)

(Et pourtant, même en temps normal, j’aime beaucoup les cailloux.)

On était donc arrivés à 2300 mètres d’altitude, et à ce que j’ai tout de suite appelé ‘l’Emyn Muil’ :




(Franchement, on s’y croirait, non ?)

En effet, le « chemin » qu’on suivait jusqu’ici disparaissait purement et simplement dans ces excroissances rocheuses, et comme en plus on était dans un nuage, c’était quasi-impossible de discerner les rares bâtons encore entiers qui marquaient la route à suivre (à moins d’avoir des yeux d’Elfe).

Donc, à partir de là, le chemin, c’était « tu vas vers le haut et tu pries pour pas tomber dans un ravin ».



Et ça peut paraître incroyable, mais cette partie d’escalade était franchement mon moment préféré de toute cette rando.

(Par contre, j’ai encore des petits cailloux incrustés dans les paumes.)

(Paye tes roches volcaniques effilées comme des rasoirs.)

Mais sinon j’ai vraiment kiffé cette partie-là : déjà parce que j’adore l’escalade, aussi parce qu’après la partie « Pays de cendres » de tout à l’heure, c’était carrément reposant de poser son pied quelque part et qu’il reste au même endroit, mais surtout parce que j’ai passé toute l’ascension à me rejouer la dernière heure du Retour du Roi dans la tête. (Tsé quand Sam il fait le héros et il porte Frodon jusqu’aux portes du volcan, et Gollum on croit qu’il est mort et en fait non, et ils se bagarrent et tout ça.)

Et j’ai continué un petit moment comme ça, perdue dans le brouillard, à faire des pauses de cinq minutes toutes les dix minutes.

Je me sentais un peu nulle parce que mes raclures de potes avaient tracé comme des bâtards sans même faire mine de m’attendre (merci les gars, hein) (le jour où c’est l’apocalypse de zombies, je sais qui je vais sacrifier en premier) mais au final j’étais quand même fière comme un prince quand j’ai atteint :

LE CRATÈRE.


AVEC DE LA NEIGE DEDANS.


EN PLEIN ÉTÉ.


ON ÉTAIT HAUT A CE POINT.


Donc je me suis permis un petit moment de triomphe pleine d’endorphines, en mode J’AI CONQUIS LA MONTAGNE RIEN NE PEUT M'ARRÊTER JE SUIS LA GLOIRE ÉTERNELLE.

(Il a fallu déployer des trésors de retenue pour ne pas balancer mon alliance au fond du cratère.)

(«Mais ça serait tellement fidèle au thème !».)

Et puis j’ai retrouvé mes potes, et on a fait un pique-nique express au sommet parce qu’on se les caillait sa mère.

(Presque autant qu’au bureau.)

(Paye ta clim à seize degrés au pays des malades mentaux.)

Puis c’était déjà le moment de redescendre, et là pour le coup c’était moi qui étais plus rapide que tout le monde. (Je mets tout le monde à l’amende en descente de rochers parce que mon corps est en caoutchouc, alors je peux plus ou moins juste me laisser tomber jusqu’en bas.) 



Et pourtant, j’ai attendu tous mes potes, parce que MOI, je suis une bonne amie.

(Une amie qui n’hésitera pas à leur défoncer les rotules le jour où il faudra détourner l’attention d’une horde de zombies, mais une bonne amie en attendant.)

Et même si la fatigue commençait à se faire bien sentir (3615 jambes qui tremblotent comme de la terrine de porc), la descente a quand même été vachement plus rapide que la montée – ce qui me conforte dans l’idée que l’être humain n’est pas fait pour aller vers le haut.

(Je sais qu’on est cousins avec les singes, mais y’a un chromosome qui a dû se perdre dans l’histoire, je sais pas.)

(Ou alors c’est parce qu’on a inventé les pizzas et les burgers, et eux pas.)

(L’un ou l’autre.)

Bref, huit heures plus tard, on était de retour à l’endroit exact d’où on était partis – autrement dit, on a passé la journée entière à se faire mal pour accomplir absolument rien de productif.



(Au final, c’est comme quand je passe mon samedi à jouer à The Witcher, mais en plus douloureux.)

(Bonne idée/20)

Bref, si tu es fan du Seigneur des Anneaux, et que tu es un peu maso sur les bords (même si du coup tu serais plutôt fan du Hobbit) (HAHA), je te conseille l’ascension du Taranaki, puisque la balade réunit à elle seule l’atmosphère des Deux Tours et du Retour du Roi.

(Par contre, on n’a pas la lave en fusion, donc -1 pour l’authenticité.)

Pour les autres, je conseille de rester chez soi et de manger des chips, parce que le sport ça fait mal.

(Et puis bon, s’il faut commencer à faire des efforts juste pour vivre plus de 50 ans, alors ou va-t-on, ma bonne dame ?)

3 commentaires:

  1. Rhaaaaaa.... Opunake, le camping qui donnait sur ce volcan et sur la mer, le plus beau moment de toute ma vie néo zélandaise de 3semaines :D Bravo !! et du coup, toute seule, en plus !!!
    Clem de vendée ;)

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  2. Ah non, je ne suis pas d'accord ! Il est très important d'atteindre les 50 ans en bonne santé si on veut pouvoir tenir lors d'une aventure ! Même si je ne suis pas sûre de ne pas claquer la porte au nez de Gandalf, on ne sait jamais comment on va réagir dans ces cas-là.

    Et félicitations d'avoir réussi à gravir ce volcan ! Cela fait rêver mais l'escalade abrupte a eu raison de ma pseudo envie de faire pareil... Je préfère profiter des photos ^^

    L.E.

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  3. Hey !
    Après avoir oublié l'existence de ce blog pendant des années, je viens de retomber dessus. Et juste, mais merci. (Pas merci de mon sommeil, je t'ai lue jusqu'à 3h du matin). J'ai ri, mais ri. Ta manière de raconter me fait toujours autant rire. L'histoire des billets d'avion, c'était si beau - et si chiant hein clairement. Et les micro-ondes, mais j'ai ri. Enfin j'adore, un grand merci à toi !
    PS : ça avait l'air bien joli cette visite du Mordor ;)

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