jeudi 20 avril 2023

Yes, they speak English, but definitely not Wall Street English


Et donc j'enseigne l'anglais à mes enfants.

Clairement beaucoup moins que ce que pensent les gens, cf. les discussions avec mes élèves depuis que les enfants sont nés:

- Ah ils ont de la chance vos petits, ils vont être bilingues!
- Oh ben je leur parle pas en anglais pour le moment.
- Ah bon? Mais pourquoi pas? C'est maintenant qu'il faut commencer!

Alors déjà Marie-Chantal t'es sympa, mais d'une, c'est pas à toi de me dire comment élever mes enfants, et de deux, je suis bien placée pour savoir que, même si c'est effectivement cool d'apprendre les langues jeunes parce que le cerveau assimile mieux, ça n'est pas non plus VITAL de démarrer dès la petite enfance.

Et comme l'anglais n'est pas ma langue maternelle, je me voyais mal la parler au quotidien avec mes enfants, ça me paraissait trop artificiel.

(Bizarrement, c'était plus naturel de leur dire des trucs en alsacien, alors que je le parle vachement mal.)

(Bon, je rigole moins maintenant que je me tape la honte avec les enfants à l'école quand l'ATSEM leur dit "Tu mets tes chaussons" et qu'ils répliquent "C'est pas des chaussons, c'est des SCHLOOOOOPA!")

Bref bref.

Maintenant que mes enfants vont à l'école, j'ai commencé à leur introduire des petites notions d'anglais, d'abord en leur expliquant le principe d'une langue étrangère (mais étant donné qu'on est frontaliers, c'est un concept plutôt concret) puis en leur expliquant ce qu'était mon métier:

- Et donc, vous voyez, quand je pars de la maison, c'est pour aller voir des gens et leur enseigner l'anglais. Je leur montre des vidéos, on lit des livres ensemble, et on discute en anglais.
- Et à la maison, tu travailles sur ton ordinateur!
- Oui, c'est ça.
- Comme papa! Papa il travaille sur son ordinateur avec des poissons et des graaaaandes baleines!
- De... quoi? C'est quoi cette histoire de poissons? Fla?


(La tête du gars qui s'est dit que ça passerait crème de jouer à Subnautica en disant à ses gamins "papa travaille".)

Bref bref Brejnev.

J'ai donc commence à leur enseigner des petits mots de base à droite à gauche, et ils savent dire "hello", "bye-bye", "please", "thank you", et demander quelque chose en disant "Can I have...", ce qui donne lieu à du franglais magnifique au moment du dîner:

- Maman, je veux une biscotte!
- On ne dit pas "je veux". Demande-moi poliment.
- Je voudrais une biscotte s'il te plaît!
- Bien! Et tu sais le dire en anglais?
- Please can I have some... euh... biscotte!
- Haha ! Il est mignon.
- Heu, Cha?
- Oui?
- En vrai, moi non plus je sais pas comment on dit "biscotte" en anglais.

Et c'est bien normal, mon petit père!

(C'est "rusk", mais t'es pas obligé de le retenir, la majorité des anglophones ne connaissent pas ce mot non plus.)

C'est tout le problème de manger comme des bons français : on a plein de mots qui sont compliqués à traduire, parce que c'est pas qu'ils existent pas, c'est juste que ça ne fait pas du tout partie du langage courant.

On a le même souci avec "compote" et "sirop" : des mots qui existent techniquement en anglais ("applesauce" et "cordial") mais ne font pas partie de la consommation courante dans les pays Anglo-Saxons.

(La compote en gourde est un peu plus présente aux USA depuis que Materne est allé s'installer là-bas avec leur marque GoGo Squeez (l'équivalent US de la Pom'Pote), mais ça reste marginal comparé à l'immense marché de la compote en France.)

Et je te passe le casse-tête quand je dois traduire des trucs VRAIMENT franchouillards:

- Maman, please can I have some comté?
- Et moi, et moi, je veux aussi du fromage! Please can I have some Brebiou?
- ... Non mais vous pouvez juste me dire "Can I have some cheese", ça ira bien.
- Mais je veux pas du Ficello, moi! Je veux du comté! 
- C'est aussi "cheese".
- Non, hier je voulais du Ficello et tu m'as dit de dire "cheese"! Mais là c'est pas du Ficello que je veux! Alors can I have some COMTÉ!


(Il a pas tort)

Mais bon, même avec les enfants les plus pointilleux du monde, on progresse quand même, et les enfants connaissent maintenant une poignée de mots en anglais (principalement de la bouffe, on va pas se leurrer) et deux-trois expressions toutes faites, merci aux dessins animés en VO qui leur ont appris des choses comme "let's go" ou "come on" de manière organique.

Et ils ont eu tôt fait de comprendre qu'on pouvait changer la langue des dessins animés sur Netflix, ce qui donne lieu à des débats que j'avais carrément pas vu venir, parce que, naïve que j'étais, je pensais qu'ils se contenteraient de regarder chaque dessin animé dans une langue de préférence.

Et c'est le cas pour certains (par exemple, Petit Ours Brun, c'est - forcément - en français) mais pour les autres, c'est très volatile.

Ainsi, j'ai eu le malheur d'essayer de mettre Sam le Pompier en anglais, après m'être résignée au fait que j'allais bien devoir me farcir ce dessin animé daubé du cul.

(C'est laid comme pas permis, c'est animé avec les pieds, et toute la série est basée sur le scénario ridicule d'une ville de huit habitants qui ont inexplicablement la caserne de pompiers au budget le plus pharaonique de l'univers.)

(Non, pardon, c'est pas tellement inexpliqué : ils ont régulièrement l'occasion d'utiliser leurs équipements de malade - hélico, bateau, jet-ski, quad, radio sonar et j'en passe - pour aller tout le temps sauver LE MÊME GOSSE qui se fout constamment dans la merde et reste pourtant toujours sans surveillance.)

Mais bon, après, je me doutais bien que j'allais pas pouvoir rester dans ma bulle de Miyazaki, Nico Nickel et Bluey pour toujours, et qu'on allait bien devoir se farcir de ces programmes allant du médiocre au franchement mauvais et qui sont inexplicablement plébiscités par nos chères têtes blondes.

(Je m'estime encore heureuse parce qu'on a réussi à éviter les écueils Peppa Pig, Pat'Patrouille et autre Âne Trotro.)

Et je m'estime surtout heureuse qu'ils ne savent pas encore chercher dans le catalogue Netflix, et qu'ils soient encore assez jeunes pour être des bons jambons:

- Maman, je veux regarder les Pyjamasques!
- Ah mais ça c'est pas possible chez nous, les Pyjamasques c'est que sur la télé de mamie.
- Oh non!
- Ah ouais, c'est la tuile hein. Dis donc. J'en suis tellement peinée.


Bref bref Brejnev.

Les enfants ont donc capté que Sam le Pompier était dispo sur Netflix (PAS MERCI L'ALGORITHME qui me l'a mis en GRAND en page d'accueil) et je me suis dit "allez, si déjà on doit se farcir cette daube, autant le mettre en anglais, comme ça on pourra dire que c'est vaguement éducatif".

Et là.

La stupeur.

L'ébahissement.

Le doublage, qui n'était pas reluisant en français (mais restait acceptable) est simplement abominable en anglais.

Tous les adultes se tapent un accent du pays de Galles de derrière les fagots, le doubleur d'Elvis semble vouloir parler au ralenti pour aucune raison logique, mais le pire, c'est que la quasi-totalité les enfants sont doublés par des hommes adultes, qui prennent des voix aiguës, et je te jure que j'arrive pas à regarder un épisode sans penser aux sketchs des Monty Python quand ils jouent des ménagères. 

Ajoute à ça le fait que quasiment tout le monde a vu son nom changer en VF pour.... une raison? (Penny est renommée Julie, Mike est renommé Max, Trevor devient Tristan, Norman devient Nicolas, etc.) 

(On pourrait se dire que c'est une volonté de franciser, mais alors pourquoi ne pas aller au bout du truc et avoir gardé Elvis, Jodie, Malcolm, Jerry, Joe, Lizzie, et plein d'autres noms anglophones?)

Bref, c'est la confusion totale, j'ai aucune idée de comment les gamins peuvent passer d'une langue à l'autre à chaque épisode sans broncher, et sans que ça ne semble perturber leur compréhension du truc.

Ah oui, parce qu'on fait du code switching à chaque épisode dans cette maison, car vois-tu, il semblerait qu'on ait affaire à des puristes, et du coup, tous les jours, c'est la bagarre VF/VO entre Sammy le franchouillard et Gus-Gus l'anglophile. 

(Ne me demande pas pourquoi, mais bizarrement, j'aurais plutôt vu l'inverse.)

On a donc mis en place le compromis "un épisode en chaque langue", ce qui marche bien, MAIS ça c'est si on a le temps de regarder deux épisodes. Quand je suis en mode "je vous soudoie parce qu'on doit partir à l'école dans huit minutes, vous lambinez exprès, j'ai pas envie d'être en retard et j'ai pas le droit de vous taper", là, il faut faire des choix. 

J'ai donc instauré le protocole "un choisit ce qu'on regarde, et l'autre choisit la langue", ce qui était au départ un lot de consolation pour éviter les crises ("MAIS MOI JE VOULAIS QUE C'EST MOI QUI CHOISIS!") 

(ainsi que sa suite acclamée, "OUI JE SAIS C'EST MOI J'AI CHOISI HIER MAIS JE VOULAIS CHOISIR AUJOURD'HUI AUSSI! JE VEUX TOUT DÉCIDER TOUT SEUL TOUS LES JOURS JUSQU’À LA FIN DES TEMPS C'EST QUAND MÊME PAS COMPLIQUÉ COMME REQUÊTE")

Et alors, j'avais pas vu venir le truc, mais la langue est devenue tellement importante pour eux qu'ils se battent pour NE PAS choisir le dessin animé:

- On a le temps pour un dessin animé pendant que je vous brosse les dents. Auguste, c'est ton tour de choisir.
- Okay, je veux Puffin... En fait, je vais laisser Samuel choisir.
- Okay! Je veux Sam le Pompier.
- En ANGLAIS!
- Non, en français!
- Mais toi t'as choisi Sam alors c'est moi qui choisis la langue alors on regarde Sam le Pompier en ANGLAIS!



(Samuel réalisant qu'il a été dupé, une illustration.)

- ..... J'ai changé d'avis. Je veux Petit Ours Brun. Auguste, tu peux choisir la langue! 
- ....
- Sauf qu'en fait tu peux pas, y'a que en français! Ha ha!


(La contre-offensive ultime.)

Et j'avoue que je devrais probablement y mettre un terme et décider à leur place, mais je trouve ça vraiment trop intéressant d'observer leurs petits cerveaux en train de cerner les rudiments de la négociation.

Et, évidemment, tu auras deviné que Professeur Flaxou est AU COMBLE DE LA HYPE d’assister à ces délibérations:

- Cha! Non mais tu réalises ce que ça veut dire??! Ils font de la STRATÉGIE! Et t'as vu ce revirement de Sammy? Il a élaboré une nouvelle stratégie en temps réel! Cha! C'était du RTS!
- Non....
- ON VA POUVOIR JOUER A STARCRAFT!!!


(Comme si ces gamins n'allaient pas devenir des footeux juste pour nous emmerder.)

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