jeudi 13 novembre 2008

vélo


Aussi loin que je puisse me souvenir, j’ai toujours détesté le vélo.

Enfin, c’est pas tout à fait vrai. Quand j’étais vraiment toute petite, on me laissait rester tranquillement dans le siège arrière, à crier pendant toute la durée de la balade « Allez papa plus vite papa », et ça, c’était fort plaisant.

Mais dans ma famille de montagnards, jeune ou pas jeune, à partir du moment où on sait faire du vélo sans les roulettes, on participe aux excursions familiales, petites jambes molles ou pas. Je trouve que le respect qu’on payait autrefois aux personnes non-âgées se perd, où va le monde ma petite dame.

Donc, mes petites jambes molles, ma personne morfondue, et ma grande sœur, nous avons enduré les supplices du VTT le dimanche, et les mensonges vite percés à jour de nos parents :

- Allez, c’est la dernière montée !

- Après ce virage, c’est fini !
- Vous inquiétez pas, c’est un raccourci.

- C’est pas vraiment une montée, c’est juste un faux plat.

- Charlotte, si tu roules sur les cailloux dans une descente raide, ça veut pas dire que tu vas forcément tomber.

Eh ben si. Toutes les choses sur-mentionnées, si. Et pire encore.

Je n’irai pas jusqu’à dire que j’étais une enfant maladroite. Disons plutôt que la vaisselle devenait soudainement très glissante lorsqu’elle se trouvait entre mes mains, et que mes pieds présentaient une aptitude innée à trébucher l’un sur l’autre. Mais ceux-ci ne sont que des défauts mineurs, quand on les compare à la malédiction qui me frappait dès que je touchais ne serait-ce qu’un cadre de VTT.

C’était devenu une loi de la physique : tout corps Charlottien assis sur un vélo doit à un moment où à un autre de la balade choir violemment dans les cailloux (si possible dans une descente) afin de restaurer l’ordre cosmique.

Mes parents emballaient les pansements tous les dimanches matins, dans l’espoir vain qu’il n’y ait pas besoin de les utiliser cette fois-ci. Et moi, cobaye innocent manipulé pour leur volonté aveugle, je chutais et chutais, jusqu’à ce que je sois assez grande pour m’affirmer aux côtés de ma sœur (qui ne chutait pas aussi souvent, mais une fois lui avait suffi) que décidément, non, le VTT, c’était un instrument de torture pour la vivisection humaine, et qu’on ne nous y reprendrait pas de si tôt avec une selle sous les fesses.

Et, effectivement, le vélo a ensuite joyeusement pris la poussière dans la cave, enrubanné de toiles d’araignées, tel un gigantesque cadeau que m’offrait le destin.

Jusqu’à ce que, des années plus tard, je prenne conscience, pour la première fois, du potentiel pratique d’un vélo.

La ville. Un nouvel environnement. Un désert de bitume, une piste de slalom géante entre les immeubles. Un endroit parfait pour enfourcher un vélo à nouveau : pas d’appréhension, pas d’effort à fournir, une vitesse incomparable, et un terrain lisse, comme la peau d’un géant endormi.

Je connus alors les joie de la bicyclette : les jambes qui actionnent les roues, un mécanisme aussi simple que la marche, et pourtant infiniment plus grisant. L’équilibre instable des virages, la pédale qui racle le goudron. le vent qui siffle aux oreilles et glace les joues, qui s’infiltre sous l’écharpe et fait pleurer les yeux, dans la pénombre des matins d’hiver. La brise qui sèche la sueur sous le T-Shirt en coton et caresse les jambes nues, les mercredis après-midi à l’heure du goûter.

Puis ce fut le collège, le défilé des vélos qui se font voler, qu'on casse en deux en tentant de sauter une butte dans le parc, qui deviennent trop petits ou tout simplement trop nazes pour se balader avec, tu sais pas ce que c'est maman t'es vieille depuis trop longtemps, de ton temps on gardait le même vélo ouais mais ils avaient même pas encore inventé la voiture de ton temps alors hein.

Et puis le temps du lycée, ma place attitrée avec mon nom écrit dessus au marqueur pendant que les pions regardaient pas. Tous les matins, c'était le même rituel : avant d'entrer dans la cour, un coup d'oeil au garage à vélos, Sarah est déjà arrivé, Yann va être en retard, je me demande si Guillaume a cours ce matin, je vois pas son vélo.

Et surtout, le début de la grande tradition de baptême de vélo, à coups de noms en El. D'abord El Chaudron, maintenant il est peut-être quelque part dans un camp de gitans en Roumanie, puis El Novio jusqu'à ce que ma soeur le réquisitionne, et puis un petit moment avec un vélo sans nom, pour finir avec El Mocho le mal-nommé (je persiste à dire qu'il est très beau). El Mocho, le vélo de l'aventure, puisque c'est lui qui m'a accompagnée à la gare tous les jours, cette longue première année de fac, condamné à ne jamais quitter l'enceinte de Colmar pendant que moi, je découvrais la ville sans lui.

Puis ce fut le déménagement, à la Robertsau, deux kilomètres du centre, cinq kilomètres de chez Professeur Flaxou, et qu'est-ce que j'aurais fait sans lui pendant cette année, je me demande bien.

Une année difficile pour El Mocho, à crécher dans la cour par tous les temps. Une année difficile pour moi aussi, les quinze minutes sous la pluie battante ou sous la neige, à chaque fois j'oubliais mes gants.

Le jean qui colle aux cuisses toute la matinée, je renifle pendant le cours magistral, et El Mocho est encore dehors, à m'attendre, bravant toutes les tempêtes.

La galère de rouler sans lumières le matin et le soir, parce que les lumières, j'en rachetais cinq par hiver, et en deux jours, celle de l'avant était cassée et celle de derrière s'était faite voler.

Mille fois j'aurais pu l'abandonner au profit du bus et du train, mais je ne voulais pas perdre ces instants de bonheur simple, aussi fugace soient-ils.

La côte juste avant le pont, debout sur les pédales, et le Parlement qui apparaît à ma droite, illuminé par le soleil levant. Ça faisait un rayonnement à deux kilomètres à la ronde, au moins. Ou encore passer par l'Orangerie en revenant des cours, jeter un regard furtifs aux enfants dans les poussettes, aux chiens, aux petits vieux et aux canards. Rentrer avec des feuilles mortes dans les cheveux et de l'air neuf dans les poumons. Rentrer sous la pluie, sachant qu'une couette chaude vous attend à l'arrivée, et croiser d'autres téméraires, encapuchonnés de la tête au pied dans du plastique, et échanger ce regard qui scintille un peu sous ce temps de chien.

Il y a des amours coup de foudre, et d'autres qui se construisent avec le temps, forts de ce qu'on vit avec l'être aimé, des expériences, bonnes ou mauvaises, qui émaillent notre vie.

Aujourd'hui, j'habite à cinq minutes à pied de la fac.

Et tous les matins, pluie, neige ou vent, je prends quand même le vélo pour y aller.



6 commentaires:

  1. un excellent article qui m'a fait beaucoup rire.

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  2. Ah l'amour du vélo =:)
    Moi aussi, des années de collège passé, qu'il grêle pleuve ou vente (surtout par jour de tempète où t'as beau pédaler, le vélo, il s'obstine à reculer. Oui, à reculer [quelle idée aussi d'habiter dans une ville avec des rues en pentes u_u]

    Le mien de vélo, il s'apelle Shizo. A ton avis, est-ce qu'un vélo peut se reproduire ? Si oui, es-ce qu'il naitrais avec ou sans chambre à air ? Je m'interroge.

    Bref, constatation métaphysiques mises à part, j'aime bien comment t'écris n_n

    Des bisoux !

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  3. Salut! Je me demandais comment allait ton tatouage jeune rebelle?
    Parce que ça fait un certain temps, genre 2-3 ans, que j'hésite à m'en faire un. Tu regrettes pas le tien? toujours la joie? Si c'était à refaire ? Des amies se sont faites percer la langue et le nombril, et le piercing a duré ptete 2 mois maxi, je voudrais pas avoir à penser la même chose pour un truc qui s'enlève pas même si on frotte...

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  4. salut Anonyme !

    Eh bien mon tatouage n'a qu'un peu plus d'un mois, donc je ne peux pas trop dire comment ça sera pour la suite, mais pour le moment, je l'adore !
    Mon avis, c'est que les gens ne réfléchissent pas aussi longtemps quand il s'agit d'un piercing (qu'on peut enlever quand on veut avec très peu de complications) et un tatouage (qu'on peut toujours essayer de couvrir avec un sparadrap, mais bon c'est un peu chiant)
    J'ai réfléchi pendant plus d'un an avant de trouver l'endroit du corps où je voulais le faire, le motif, etc. Et surtout je me suis donné beaucoup de temps pour me demander si c'était vraiment ce que je voulais, et si c'était pas juste un acte de rébellion post-ado.

    Donc mon conseil : prends ton temps, et logiquement, tu regretteras pas !

    (Perso, j'ai trop envie d'un deuxième, maintenant ^^)

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  5. Bah pourquoi t'as supprimé Alice Cooper? T'as eu honte de tes performances scéniques avec serpillère tout à coup?

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  6. Ben dit donc, c'est blog magique avec des articles qui aparaissent/disparaissent...

    Heureusement que je viens tous les jours, sinon, j'en louperais (et certains bien marrants...)

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