mercredi 10 mars 2010

Je sers l'enseignement secondaire et c'est ma joie


(on sent l'ambiance "ville de western")

Oh mes petits agneaux, c'est fou ce que je m'éclate en ce moment.

Mon boulot est coincé dans une boucle infinie : six mois que je fais exactement la même chose tous les jours, aux mêmes élèves, et six mois qu'ils ne retiennent pas une miette des informations que je force dans leurs cahiers au tracto-pelle. (Cinq ans de français et toujours pas capable de dire "aller". Pas "J'irai", pas "Je vais", rien que "aller". A ce niveau-là j'ai envie de dire qu'ils le font exprès, c'est pas possible autrement.)

L'inscription à l'ITIRI approche à grands pas, et j'ai eu le malheur de regarder certaines épreuves d'admission des années précédentes.

- Bonjour, traduisez "bouclier antimissiles" en russe.
- Euh, je sais dire "où est la pharmacie", ça marche aussi ?

Donc maintenant je sais que je ne serai sûrement pas admise parce que j'ai pas le niveau nécessaire en russe, et que donc cette année, que j'ai faite uniquement pour être sûre d'avoir les acquis suffisants pour entrer à l'ITIRI, ne va finalement pas servir à grand-chose.

A part que je vais pouvoir me la péter sur mon C.V. en faisant passer ça pour une mission caritative :

- Oui, j'ai enseigné le français à des jeunes défavorisés. C'était très satisfaisant de voir leurs petits visages réjouis alors qu'ils comprenaient enfin le sens du verbe "aller" au bout de cinq ans, une expérience humaine profondément enrichissante.
- Au bout de cinq ans ? Donc quand vous dites "des jeunes défavorisés" vous voulez dire "mentalement handicapés" ?
- Ha, si seulement.

Je crois que ça y est, mon enthousiasme a définitivement disparu. (Je suis même étonnée qu'il ait tenu aussi longtemps.) Je me lève tous les matins et j'ai l'impression que tout est gris. Le ciel dehors, la lumière du matin, mes céréales molles (bon en même temps, c'est le temps anglais et c'est des Weetabix, alors c'est peut-être pas seulement mon imagination qui les voit gris).

Même moi, je me sens grise. Comme si j'avais fumé cinq paquets de Gitanes juste avant d'aller au lit, ce genre de gris. Et à côté, je vois tous les autres assistants qui vont au boulot en sautillant, avec un moral qu'aucune insulte d'ado boutonneux ne peut entamer, et je me dis que c'est vraiment chouette qu'il y en ait qui soient bâtis pour être profs, mais que moi, on ne m'y reprendra plus.

Et puis bon, je suppose que ça n'arrange pas les choses d'être à Kettering, numéro un des villes anglaises où il se passe rien.

Vous voulez une preuve ? Je vais vous raconter tout ce qu'il y a à faire à Kettering. Exhaustivement.

Commençons par la culture.

Alors : il y a une bibliothèque avec 90% de westerns, de collection Harlequin et de polars suédois. (Les 10% restant c'est des livres sur la cuisine ou le bricolage pour les nuls : "Je monte une étagère Ikéa", "Je fais des oeufs sur le plat, tome 1 à 5", ce genre de trucs.) Sinon y'a aussi une librairie avec environ dix-huit bouquins :  Twilight, Harry Potter, et la collection complète des éditions "Sad true stories".

Je plaisante pas, c'est des best-sellers énormes : uniquement des histoires vraies à base d'enfants battus, de femmes qui épousent des psychopates, de prostituées accros à l'héroïne, enfin vous voyez le genre. Le tome qui s'est le mieux vendu pour l'instant, c'est une histoire de 200 pages d'une petite fille séquestrée et violée par son père pendant plus de dix ans. Ambiance. Et donc y'a des gens qui viennent dans la librairie en se disant "Qu'est-ce que je vais bien pouvoir prendre de chouette comme livre de chevet, didadidadoum, alors quelque chose de léger, pourquoi pas une histoire d'inceste et de séquestration dans une cave". Faut être un peu cinglé quand même.

Sinon y'a un cinéma qui n'a que deux séances par jour (faut pas les rater) et qui est à dix kilomètres du centre-ville. Et c'est tout pour la culture, pas de théâtre, pas de salle de concert. (Une fois y'a eu un concert, on pensait que c'était Kiss, en fait c'étaient juste des mecs qui jouaient du Kiss. Et puis de toute façon c'était même pas à Kettering.)

Après y'a le chapitre des sorties : donc il y a une demi-douzaine de pubs et trois boîtes de nuits. Les pubs, c'est sympa, mais faut éviter passé 23h sinon tu marches un peu dans le vomi.

Les boîtes, c'est généralement de la techno qui t'arrache les tympans, sauf au bar gay de la ville, où ils passent de la super musique, et où t'as pas encore les oreilles qui sifflent le lendemain, mais où personne ne danse. Jamais. Il y a un bon DJ, il y a une grande piste de danse, il y a plein de gens très contents d'être là, mais pas l'once d'une ambiance. Ça doit être un paradoxe spatio-temporel. (En plus j'ai toujours peur que les gens voient que je ne suis pas gay et me disent "bouh, fous le camp". Mais c'est pas de ma faute si vous êtes les seuls à passer du Janis Joplin!)

Sinon j'ai vu des centres de fitness, mais dieu sait que c'est pas moi qui vais y mettre les pieds.

Et j'ai aussi entendu dire qu'il y a un genre de mini-parc d'attractions. Comme une foire temporaire, mais permanente : un "grand huit", une coccinelle, des auto-stops (oui je suis alsacienne, je dis "auto-stop" et tant pis pour toi), et trois ou quatre de ces horribles machines à pinces où tu peux gagner des petits nounours roses si tu joues pendant huit heures d'affilée, mais t'as plus de chance de finir "Tintin au Tibet" sur Game Boy, si tu veux mon avis. Par contre, ce parc, j'ai essayé d'y aller deux fois, et je me suis toujours magiquement retrouvée devant ma maison. Et comme mon sens de l'orientation est absolument irréprochable ("Mais si, je l'avais garée juste là, la voiture, on a dû la voler c'est tout") alors je ne vois qu'une explication : ce parc est situé dans un univers parallèle où il est possible de s'amuser, et moi je suis coincée de l'autre côté.

Et voilà, je vous ai listé absolument tout ce qu'il y a à faire à Kettering.

J'ajouterai également, afin de vous peindre une image plus vivace de ce lieu enchanté, une conversation véridique qui a eu lieu il y a quelques jours, alors que je parlais à mes collègues :

- C'est marrant quand même, toutes ces mouettes. Je pensais pas qu'on en trouvait si loin à l'intérieur des terres.
- Oh, d'habitude elles ne viennent pas aussi loin. T'en trouveras pas ailleurs qu'à Kettering.
- Ah bon, comment ça se fait ?
- C'est les ordures qui les attirent.

Oui, je ne sais plus si j'ai déjà mentionné ce délicieux détail : à Kettering, j'ai vu des poubelles, mais elles sont toujours vides. Les gens, ils ne voient qu'une seule grande poubelle : la rue.

Dans la rue, il y a donc les choses habituelles : chewing-gums, papiers de bonbons, emballages de Mac Do, bouteilles en plastique, un peu comme chez nous mais faut les imaginer vraiment partout. Mais on trouve aussi des choses un peu plus étranges, comme des sacs poubelles pleins (les gens ont des grandes poubelles, mais faut croire qu'il y en a qui ont la flemme d'attendre les éboueurs, alors ils mettent leurs ordures comme ça, dans la rue, bien emballées.) ou encore des meubles en tout genre. Pourtant il y a une déchetterie, mais les gens mettent leurs choses cassées dans la rue : des vieux canapés, des chaises de bureau cassées en deux, toutes les vieilles merdes qui rentrent pas dans la poubelle.

(Le paradoxe, c'est quand même que j'ai pas vu une seule crotte de chien depuis que je suis arrivée ici. Peut-être que les gens ont aussi la flemme de ramasser les crottes et qu'ils ont cousu les trous de balle des chiens. Plus rien ne m'étonne.)

Donc voilà. Ça c'est l'endroit où je dois encore habiter pendant trois mois. (Et je pense que ça va être bien sympa quand il commencera à faire chaud, avec toutes ces ordures.)

Vivement la Russie, dis donc.

5 commentaires:

  1. Courage miss! tu vas voir c'est pas si terrible, tes élèves pourraient ne pas savoir ce que tu enseignes ( il y a du progrés dans leurs capacités dites mentales ).
    Respect pour la référence à Tintin au Tibet ( dieu bénisse les codes pour passer les niveaux ).

    Bon courage!

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  2. Wouah ça sent la déprime pré-printemps ! Chais pas si le fait d'être encouragée par des gens que tu connais pas peut être bénéfique pour ton moral, mais dans le doute (abstiens-toi) (ah non c'est le contraire) voici ma contribution :

    Tu sais exactement ce que tu veux faire dans ta vie (ITIRI), donc (attention lapalissade en vue) donne-t-en les moyens ! Yapuka... (euh oui c'est nul je sais)

    Mais donc si on comprend bien la petite allusion, tu pars en Russie l'an prochain ? Ben merde alors, même si tu finis pas traductrice à l'ONU et menacée de mort parce que tu aurais entendu des trucs en swahili que personne ne comprend, tu pourras au moins te la péter pcq tu auras eu une jeunesse de folie, pleine de voyages et d'expériences avec des jeunes anglais/russes idiots !

    (Et ben ptete qu'apprendre le russe aux jeunes russes ça marchera mieux ?)

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  3. Viens donc en Russie. Ici la journée de la femme, c'est un jour férié (mais que j'aime ce pays ! :)))

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  4. Pour les ordures, t'aurais pu faire Mère Thérésa à... Calcutta, c'est ça ? (désolée, mais j'ai jamais retenu. Rien qui appartienne de près ou de loin au domaine de la géographie). Au moins, t'aurais eu une portée vraiment humanitaire :)

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  5. DISCIIIIPLE
    DEBOUT ! ! ! ! !

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