Je vous avais déjà parlé de cette étrange coutume anglaise qui consiste à montrer son ticket de train sans que le contrôleur le demande, poussés par un fougueux besoin de prouver qu'ils suivent les règles. Eh ben accrochez-vous à vos culottes, parce que j'ai encore plus incroyable.
Tout d'abord : les Anglais ont une politesse tellement hors du commun qu'il est très difficile de leur dire quoi que ce soit. Le problème étant qu'ils sont tellement versés dans l'art du "small talk" (babillage sans importance, mais nécessaire pour ne pas passer pour un mufle) que, pour les malotrus français que nous sommes, ça relève de la concentration la plus absolue pour finir une conversation :
- Bonjour, Sue...
- Oh, bonjour Charlotte! Ca va?
- Oui oui, ça va bien. Je voulais juste dire...
- Tu as passé un bon week-end?
- Oh oui c'était sympa, j'étais à Oxford, j'ai pleuré sur la tombe de Tolkien, rien de bien terrible. Bref, je voulais...
- Ça c'est drôlement rafraîchi aujourd'hui, tu ne trouves pas?
Attention, point de Godwin de la conversation anglaise : le temps.
Le temps est tellement instable en Angleterre que cela en fait, semble-t-il, un sujet de conversation des plus fascinants. (Le job le plus facile au monde : présentateur météo en Angleterre. "A l'Est, des pluies, peut-être, et du soleil l'après-midi, mais ça pourrait aussi bien être couvert". Je vous mens pas.) On peut ainsi disserter tous les jours, que dis-je, toutes les heures, sur le temps qui n'est pas de saison, cette maudite pluie qui n'en finit pas, ou encore ce beau soleil "mais on sent bien que ça va pas durer ma pauv' dame".
Prêtez aussi attention à l'art de l'anglais pour enfoncer des portes ouvertes sans le moindre scrupule : par exemple, si on est à l'intérieur, on entendra très souvent : "Oh, il fait bon ici, c'est bien meilleur que dehors!" La chose parfaitement sidérante, c'est qu'ils arrivent à dire ça tous les matins. Alors qu'ils travaillent toujours au même endroit! On penserait qu'ils pourraient s'y attendre, mais non! En fait, les Anglais prennent la vie entière comme une agréable surprise.
- Ce matin je suis monté dans ma voiture et elle roulait super bien!
- Ah bon? T'as des problèmes avec, d'habitude?
- Non, je trouve juste ça génial!
Je dois avouer que c'est un optimisme assez grisant, surtout quand on compare avec le râlage constant bien de chez nous. (Les Anglais, ils savent pas râler. Ils ont même pas de mot pour "râler"!)
Par contre, petit écueil à connaître : un Anglais voudra toujours avoir la dernière politesse. Laissez-le faire sous peine d'un boucle infinie.
- Ok donc on fait comme ça.
- Super, alors à lundi.
- A lundi!
- Bon week-end!
- Toi aussi!
- Salut!
- Salut! Et merci d'avoir appelé!
- Je t'en prie.
- Mais si, mais si.
- Bon allez, salut!
- Salut! Prends soin de toi!
- Et toi aussi!
- Embrasse ton chien!
- Dis bonjour aux enfants de ma part!
Vous voyez où je veux en venir.
Imaginez-vous pendant une minute un pays où tout le monde est sympa. Le calvaire! Même les caissières te tapent la discute! Même (et là vous allez pas me croire) les gens de l'administration.
L'administration, la chose la plus redoutée des français avec la mort et le cancer du poumon. J'ai dû refaire mon passeport récemment, et quelquefois, la nuit, je rêve encore que je suis pourchassée par des actes de naissance et des justificatifs de domicile.
Quand je suis arrivée ici, on m'a demandé de m'inscrire pour la Sécu nationale. Il y avait une agence à Kettering, mais, pour des raisons inconnues, on m'a demandé de me déplacer à Bedford (à 50 km de là). Ça commençait tout pareil qu'en France, et je m'inquiétais déjà.
Je me suis rendue à l'agence le cœur battant, tous mes documents sous le bras. J'ai indiqué à la secrétaire que j'avais rendez-vous pour qu'on me fasse ma Sécu (ils prennent rendez-vous dans ce pays! Pas de tickets de boucherie ni rien! le bonheur!) et je me suis installée pour attendre.
Ben tu me croiras ou pas, mais j'ai à peine eu le temps d'ouvrir mon bouquin qu'on m'appelait déjà.
Je me suis retrouvée devant une dame souriante, déjà ça m'a fait un peu tiquer, mais après tout elle était peut-être sous Lexomil. Elle m'a fait asseoir, elle m'a demandé ma carte d'identité, et elle a rempli les formulaires à ma place. (Pays d'assistés.) Et puis elle m'a dit :
- Bon, tout est en ordre. Vous devriez recevoir votre carte Vitale d'ici six à sept semaines.
Je n'en croyais pas mes oreilles.
- C'est fini? Au bout de cinq minutes?
- Oui.
- Vous êtes sûre qu'il n'y a aucun problème avec mon dossier?
- Ben non.
- Mais vous avez même pas regardé mes papiers! Vous voulez pas voir mon justificatif de domicile? Mon contrat de travail? Mon permis de conduire? J'ai tout amené!
- Oh, ne vous inquiétez pas, on n'en a pas besoin, on vous fait confiance.
(A ce stade-là mes oreilles s'étaient mises à saigner.)
Puis, en me rendant ma carte d'identité, elle a poussé un petit soupir. J'ai eu un petit sursaut de joie. Enfin, un truc qui n'allait pas, une habitude à laquelle me raccrocher. Elle allait me dire que le plastique de ma carte n'était pas conforme aux normes anglaises et que je devais la faire replastifier, j'allais perdre des mois, et tout irait bien. Et là, elle a juste dit :
- Vous avez vraiment un joli sourire sur cette photo, c'est très agréable! Nous, on n'a plus le droit de sourire sur nos photos d'identité.
Et, profitant du fait que j'étais bouche bée, elle a appelé une collègue pour lui dire:
- Tiens regarde Micheline! N'est-ce pas que c'est agréable de voir un grand sourire comme ça sur une carte d'identité?
- Ah ben ça c'est bien vrai!
Et là elles m'ont toutes les deux regardé avec un grand sourire et elles m'ont souhaité une bonne journée.
C'était mon expérience la plus bizarre d'Angleterre. Les contrôleurs de train, l'alcool pas cher, les gens qui font la queue pour le bus, les salles de bains sans prises de courant, les robinets avec eau chaude et froide séparée, même les Weetabix : rien ne pouvait se comparer avec cette aberration : des gens de l'administration sympas.
(J'en ai encore froid dans le dos.)
Et si vous, vous n'en avez pas encore assez eu, alors écoutez ça :
Aujourd'hui, je suis allée sur le site de HMRC (les impôts britanniques, alias Her Majesty's Revenues and Customs, la classe) pour m'enquérir à propos du remboursement de mes impôts. Et en cherchant, je suis tombée sur un formulaire spécial qui s'intitulait : "Si vous pensez que vous payez trop d'impôts."
Je ne pense pas que je puisse trouver quelque chose qui résume mieux l'esprit anglais.
(Non mais sérieusement, vous imaginez ce genre de formulaire en France? Au bout de trois jours y'a pénurie de papier!)
PS : Lecteur, lectrice : tu es riche? Tu ne sais pas quoi faire de ton argent? Super, achète-moi ça. Tu seras un chou.
PS : Lecteur, lectrice : tu es riche? Tu ne sais pas quoi faire de ton argent? Super, achète-moi ça. Tu seras un chou.
J'ai rien à dire de drôle ou de spirituel mais simplement j'ai vraiment kiffé cet article ^^
RépondreSupprimerMoi je suis riche. Alors à quelle adresse j'envoie les chaussures ?
RépondreSupprimerC'est gentil mais c'était pour rire, je ne veux pas être entretenue par mes lecteurs quand même :) C'était surtout pour vous montrer que c'était les chaussures les plus cool du monde.
RépondreSupprimer(Le problème c'est surtout que je vois pas comment je pourrais marcher avec des talons pareils.)
Dans le genre "on vous fait confiance"... je suis allée voter la semaine dernière (pour les locales) ils ne demandent même pas les papiers d'identité................
RépondreSupprimerquand on pense que chez nous ils s'amusent à faire voter les morts...