dimanche 17 août 2014

Ma vie, mon job, Plic et Ploc


(Et donc, là, tu TE SORS LES DOIGTS DU CUL!)

Et donc ma boîte a engagé deux petits nouveaux pour venir nous aider à bosser (rapport au fait qu'on était en train de mourir à feu vif sous le poids des emails et des factures) et ça va, c'est cool, ça leur a juste pris deux mois d'engager deux pékins pendant qu'on était en train de se noyer dans les comptes à clôturer.

Ceci est un truc typiquement Kiwi, d'ailleurs: les processus de recrutement prennent des plombes parce que presque tous les boulots qu'on trouve ici sont des CDI. Donc les employeurs prennent leur temps (et trois à quatre entretiens par poste) avant de recruter LA perle rare. Compréhensible? Pas vraiment. En fait, tous les jobs en CDI ont deux mois dits de "formation" où le patron peut décider de te virer sans préavis et sans pénalité, pour le simple fait que "je pensais que t'étais la bonne personne pour ce poste, mais désolé gros t'as pas fait tes preuves".

OUI MAIS.

Les Kiwis ont une peur tellement maladive de la confrontation que (bonne nouvelle) pour que tu sois viré en Nouvelle-Zélande, il faut :

1. Que la conjecture économique de ta boîte soit vraiment naze.
2. Que ton patron soit étranger et n'ait pas les scrupules des Néo-Zélandais.
3. Que tu commettes une faute grave. Mais attention quand même, les fautes graves chez les Kiwis incluent les trucs logiques comme se pointer beurré ou stone au boulot, regarder du porno sur le PC du bureau, ou frapper quelqu'un, mais incluent également des choses qui peuvent rendre d'autres cultures perplexes, comme gueuler sur un autre employé (alias « la technique de formation la plus efficace de France »), ou encore le plus improbable "tenir des propos racistes, sexistes, ou généralement considérés comme offensants par une tierce personne".

(Est-ce que ce type de loi existe, en France ? Parce que d’après ma courte expérience de la vie en entreprise française, et le ramassis de propos de vieux cons entendus a tout venant sur les Arabes, les Noirs, les homosexuels, et les seins des stagiaires, je serais tentée de répondre « NAN ».)

Bref.

On a donc deux petits nouveaux (que par souci d’anonymat nous appellerons Plic et Ploc) qui ont été placés sous mon aile (un peu genre je suis le Jedi et ce sont les Padawans, si tu vois le délire) (en fait je viens de me rendre compte que c’est une mauvaise métaphore puisque tout le monde sait qu’un Jedi ne peut avoir qu’un seul Padawan à la fois) (donc oublie ce que je t’ai dit).

Et travailler avec Plic et Ploc, c’est un exercice constant dans l’art du grand écart.

Parce que mon premier jour avec Plic, c’était comme ça :

- Alors Plic, on vient de recevoir un mail….
- Le fournisseur a confirmé la commande, oui, j’ai vu.
- Tu te souviens de ce qu’on doit faire dans ces cas-là ?
- Oui, j’ai  déjà changé le statut dans notre système.
- OK, super ! Et concernant le paiement….
- J’ai déjà vérifié dans notre serveur, on n’a pas besoin d’arranger les termes du paiement, mais je vais quand même leur envoyer un rappel pour la facture du mois dernier, ça mange pas de pain.

Plic est donc désormais connu au bureau sous le nom de Radar (et si tu sais pas de quoi je parle, va regarder M.A.S.H le meilleur film de guerre du monde et tu me remercieras plus tard) (je suis comme ça, j’ai le cœur sur la main).

Par contre, autant Plic au travail, c’est Jésus sous amphétamines, autant Ploc, en comparaison, c’est un chimpanzé avec des moufles.

Parce que Ploc est bien mignon, Ploc est bien gentil, mais Ploc est LENT.

Mais pas « lent » genre laïque, hein !

Pas « lent » genre « je mets dix minutes à lire un email », nan !

PLOC. EST. LEEEEEEEEEENNNNNNNNNNT!

Et dans un boulot qui exige une réactivité à la seconde, c’est pas le meilleur truc du monde.

La formation de Ploc peut donc être résumée par de formidables aventures (que je surnomme « jouons avec les nerfs de Charlotte, volume I ») telles que “Ploc apprend à brancher un micro dans un PC”:

- Charlotte ! Je crois qu’il y a un problème avec le logiciel du téléphone, j’entends rien quand j’appelle.

(Ah ben oui ça c’est sûr, quand on inverse la prise du micro et la prise des écouteurs, ça marche vachement moins bien.)

Et puis son sequel, “Ploc apprend à répondre au téléphone” :

- Ploc, tu peux répondre ?
- Moi ?
- Ben oui, toi.
- Mais…..mais…. qui est-ce qui nous appelle ?

(Gnnnnnnnnmnmnm.)

- Ben décroche et tu verras bien.
- Ah……..
- ……..
- Mais comment je sais qui c’est ? Je leur demande ?

MAIS BORDEL DE COUILLE Y’AVAIT PAS LE TÉLÉPHONE DANS TA FAMILLE, T’AS VÉCU EN ANTARCTIQUE SOUS UN CAILLOU TOUTE TA VIE OU TU TE FOUTRAIS PAS UN PEU DE MA GUEULE ?

C’est ce que je voulais dire. Mais je me suis retenue.

Je mets ma françitude au placard quand je suis au boulot. (Rappelle-toi que c’est l’endroit où on peut se faire virer pour crier sur les gens.). (Alors quand je suis tentée de gueuler, je prends une grande respiration, et je récite du MC Solaar dans ma tête pour me calmer.)

Et, bien sûr, mon épisode préféré, “Ploc apprend à confirmer une commande”.

Faut savoir que confirmer les commandes, c’est le B.A.-BA de la boîte. En gros, un client passe une commande sur notre site, on appelle le fournisseur, il nous dit « c’est bon j’ai tout bien reçu » et on change le statut de la commande par « confirmé », ce qui envoie un message automatique au client l’avertissant de la confirmation.

Ça va, c’est pas trop dur, non ?

Eh ben pas pour tout le monde, on dirait.

- Charlotte ?
- Oui ?
- J’ai reçu un email et je comprends pas ce qu’il faut faire.
- Bon. Que dit le message ?
- « Bonjour Opérations, est-ce que ma commande est confirmée ? Cordialement, client »
- OK. Donc écris un brouillon de réponse et envoie-moi ce que tu penses être juste.

(Quinze minutes plus tard)

 « Cher client, merci de votre confirmation. Cordialement, Ploc »

- Ploc ? Tu vois le souci avec ta réponse ou pas ?
- Non, c’est quoi le souci ?



- Relis le mail de départ, et relis ta réponse.
- Il me demande si sa commande est confirmée, et je lui dis merci de sa confirmation.
- Y’a rien qui te choque ?
- Heuuuuuuuu…

(Respire. Compte jusqu’à dix. )

- Qui nous a envoyé ce mail ?
- Le client.
- Est-ce qu’un client est en mesure de confirmer sa propre commande ?
- Non.
- Qui est en mesure de confirmer une commande ?
- Heu…. Nous ?
- Donc qu’est-ce qu’il nous demande ?
- ………
- ………
- Ah ! Il nous demande à nous de vérifier sa commande ! Ah d’accord ! J’ai compris !



(Par contre t’as pas encore compris le principe des points d’interrogation, visiblement.)

- Okay, donc tu peux me refaire un brouillon de réponse ?
- D’accord !

(Dix minutes plus tard)

« Cher client, votre commande est confirmée. Cordialement, Ploc »

- Ploc ? Comment tu sais que la commande est confirmée ?
- Heuuuuuuuu…
- T’as regardé le statut de la commande dans notre système ?
- Heuuuuuuuu…..
- Ben regarde maintenant. Ca dit quoi ?
- Ca dit « envoyé ».
- Donc ?
- Donc c’est confirmé ?



(Nan mais tu le fais exprès, gros?)

- Non, on a un bouton «confirmé » juste pour ça.
- Ah oui, chuis bête.

(Tu me tends la perche, gros.)

Donc je re-demande a Ploc de m’envoyer un brouillon, et dix minutes plus tard, je reçois ça :

« Cher client, merci pour les mises à jour, nous les avons bien reçues et nous les transmettrons au fournisseur au plus tôt. Cordialement, Ploc ».

Bon.

Bon bon bon.

- Ploc ?
- Oui ?
- Pourquoi tu parles de mises à jour alors qu’il n’y en a aucune ?
- Oui je sais, mais je savais pas comment répondre, donc j’ai regardé les emails que tu avais envoyés hier à d’autres clients, et j’ai répondu avec le truc le plus proche que j’ai trouvé.



MAIS PUTAIN ESPÈCE DE TÊTE DE CHIBRE, TON CERVEAU C’EST DE LA SALADE NIÇOISE OU COMMENT CA SE PASSE ?

(Respire.)

(L’as de trèfle qui pique ton cœur.)

- Bon. On va reprendre du début. Quand une commande est envoyée au fournisseur, comment est-ce qu’on fait pour s’assurer qu’il a bien reçu notre email ?
- Heuuuuuuuu….
- Prends ton temps.
- Heuuuuuuuu…. On l’appelle et on lui demande de confirmer ?



(Jackpot)

- C’est ça. Donc la, qu’est-ce que tu vas faire ?
- Appeler le fournisseur et confirmer, et puis informer le client.

(Cinq minutes plus tard)

- Charlotte ?
- Oui ?
- J’ai un problème.

TIENS DONC.

- J’appelle le fournisseur mais ça répond pas.
- Ça sonne dans le vide ?
- Non, je tombe sur un répondeur qui dit « nos bureaux sont ouverts de 8 heures à 18 heures ».
- Et là, il est quelle heure chez eux?
- Une heure du matin.
- Donc qu’est-ce qu’on fait ?
- Heuuuuuuuu…. On rappelle dans une heure ?

SERIEUSEMENT ?

- Tu penses vraiment que ça va servir à quelque chose s’ils ouvrent seulement à 8 heures ?
- Non ? Enfin, je sais pas. Oui ?



(C’est une caméra cachée, c’est la seule explication.)

- Bon, je vais écrire au client et lui dire « Cher client, votre commande n’est pas confirmée ».
- Attends, mais tu vas pas lui dire que ça, non ?
- Quoi, c’est pas bien ?
- Mets-toi à la place du client. Tu demandes si ta commande est confirmée, on te dit « non ». Tu veux savoir pourquoi, non ?
- Oui mais on sait pourquoi !

(Respire.)

(Ma voisine de palier, elle s'appelle Cassandre. Elle a un petit chien qu'elle appelle Alexandre.)

- Oui, mais le client, lui, il sait pas ! Il sait pas qu’on a essayé d’appeler et que c’est la nuit, et que les bureaux du fournisseur ouvrent à huit heures !
- Aaaaaaah oui c’est vrai ! Oh là là il faut penser à tous les petits détails dans ce job ! C’ est compliqué, hein ?



- NON C’EST PAS COMPLIQUÉ, C’EST JUSTE QUE T’AS LA LOGIQUE D’UN COQUILLAGE DE MER ! BORDEL DE BITE J’AI JAMAIS VU UN RAISONNEMENT AUSSI MOU DU GENOU !

A ce stade même « Seul sous son saule pleureur, Solaar pleure » ne suffisait plus, alors je me suis mordu la langue à la place.

(Ça saigne encore un peu.)


Donc je suis bien contente qu’on ait dû poireauter deux mois pour avoir des nouveaux employés, non vraiment ça valait grave le coup, vu la crème de la crème qu’on nous a ramené.


Mais ça va, je reste cool, je reste zen.


Et la prochaine fois que Ploc me pose une question de merde, je lui dirai juste :




PS : Et toi, tu dois aussi subir des boulets au boulot?

(Question de fin d'article Skyblog activée!)

5 commentaires:

  1. Oh, bah moi, j'ai un commanditaire, quand tu lui envoies un rapport de 278 pages pour relecture/corrections, comme il sait pas utiliser le suivi de modifs, il l'imprime, il fait ses remarques au stylo Bic, il te re-scanne le tout (il a sans doute un stagiaire d'ailleurs^^) et te le renvoie avec des commentaires en pattes de mouches à toutes les pages que tu dois intégrer dans les meilleurs délais of course... WIN

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  2. Je suis pliée, à ce stade là, c'est juste hallucinant...peut-être que Ploc serait plus réactif au contact de Plic? comme ils sont entrés à peu près au même moment, Ploc comprendra qu'il ne peut pas se trouver l'excuse " je suis nouveau" quand il foire tout...

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  3. Ah la vache, c'est du lourd! Courage!
    Je me souviens quand je bossais au MacDo un été, on avait un gars préposé aux nuggets parce qu'il était très lent et que ça demandait pas énormément de réactivité. Un jour qu'on déjeunait avec le patron avant le grand rush, le gars nous annonce: "Le matin, je suis bien plus speed que l'après-midi." On était plié de rire!!

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  4. Cet article est ENORME ! Moi j'ai subi pendant 2 ans une ptite nana qui faisait son BTS en alternance et qui a été embauchée pour "me décharger" (étant moi-même en alternance à l'époque, faut suivre). Au lieu de me décharger, je me suis tapé mon boulot PLUS sa formation (dans la douleur) (surtout celle de mon mec quand je lui racontais mes journées). J'ai essayé pendant des mois et des mois de me persuader que ce n'était pas SI terrible que ça, que moi aussi à 20 ans j'étais jeune, inexpérimentée et naïve.;. au final il s'avère que tout le monde était gavé. Et puis miracle, elle a eu son diplôme, ça a dû lui décoincer une vertèbre parce qu'elle s'est épanouie d'un coup et j'ai presque pleuré quand elle est partie. Dommage qu'il ne restait que 4 semaines quoi....

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  5. Eh bah il est collector celui là Oo Mais il faut voir les choses positivement : il y a une marge de progression pour lui ENORMISSIME !!!

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