(Une illustration de notre déménagement - ci-mer les portes de deux centimètres de large.)
Et donc Professeur Flaxou et moi on a trouvé une maison.
Après moult candidatures sans succès, et moult demi-tours toute à la vue des taudis qu’on nous présentait.
Et "taudis" n'est franchement pas une exagération, au vu des trucs qu'il m'a été donné de voir.
Genre une fois y’avait une maison, je suis entrée, et la première chose que j’ai vue, c’était un cafard géant dans l’évier de la cuisine.
(Et il était bien vivant, en pleine forme et tout.)
(Il devait faire bombance sur les murs luisants de dix ans de vieille graisse.)
(Ah ouais c’était vraiment un appart de compète.)
D’ailleurs, la deuxième chose que j’ai vue (durant mon demi-tour) c’était un aperçu de la salle de bains par une porte ouverte. Y’avait des morceaux de plafond dans la baignoire, et tellement de rouille et de crasse partout qu’on aurait dit le plateau d’un des films SAW.
(Oh chéri, ça semble être l’endroit parfait pour élever nos enfants !)
(J’aimerais dire que je viens d’inventer cette histoire, mais ce serait mentir.)
(J’aimerais aussi dire que l’agent immobilier ne m’a pas regardé dans les yeux avant d’annoncer sérieusement que ce trou était à louer pour 380 dollars par semaine, mais malheureusement, ça aussi, ça serait mentir.)
Bref, juste quand on commençait à se résigner à l’idée de vivre quelque part sous un pont, d’avoir de la mousse qui nous pousserait sur le corps, puis de devenir des mutants amphibiens et de fonder le peuple des marais, juste là, on a trouvé l’endroit parfait.
Une adorable petite « unit » (c’est comme une maison jumelée, sauf que tu construis une longue maison comme une saucisse, et tu la coupes en petits bouts) (en gros c’est comme un appartement, sauf que t’as pas de voisins au-dessus ni en dessous). Une petite « unit » toute mignonne, donc, dans une rue tranquille de Panmure, avec un bureau pour mettre les ordis, notre propre place de parking, et DEUX petits jardins (un à l’avant de la maison, un à l’arrière), franchement que demande le peuple ?
(Bon, le peuple demanderait bien un peu moins de fourmis sur sa terrasse, mais le peuple se rappelle de l’appart avec les cafards et du coup le peuple est content quand même.)
Du coup on est très très heureux pour deux raisons : la première, c’est parce qu’on a réussi à trouver un truc à prix franchement correct pour Auckland, ceci parce que les Kiwis sont persuadés que Panmure est un coin craignos (LOLILOL).
(Ils sont mignons.)
Parce que oui, alors attention, faut voir la zone, quoi :
(Bienvenue dans la té-ci.)
Les Aucklandais, donc, sont persuadés que Panmure égale les favelas de Rio, pour des raisons qui m’échappent totalement parce que bah t’as vu la gueule du truc quoi, ça crie pas vraiment « putes et dealers », on est d’accord.
(Faudrait emmener les Kiwis dans le 9-3 et les regarder flipper leur maman.)
Et, quand je demandais aux gens de clarifier ce qui caractérisait précisément le côté craignos du quartier, on ne me répondait qu’en termes très vagues, type « Ben, ça craint, quoi ».
(Trop utile, Émile.)
Jusqu’à ce qu’un ami de Richard moins scrupuleux que les autres balance ce que tout le monde se retenait apparemment de dire :
- Ben, quand même, Panmure…. Y’a beaucoup de Maoris, quoi.
(Jackpot raciste !)
Donc là, je ne me suis pas gênée, j’ai pris mon air de jeune ingénue venue des contrées lointaines, et j’ai dit:
- Ah bon ? Mais je ne comprends pas, en quoi ça fait que le quartier est moins bien ?
- Beeenn…
- Je connais pas bien ce pays, moi. Donne-moi des exemples. Qu’est-ce que les Maoris font ?
- Comment ça ?
- Qu’est-ce qu’ils font, en tant que peuple, que les autres populations ne font pas ?
- Ben…je….
(Pendant ce temps-là, dans l'esprit de Jean-Mi)
Pour les curieux, la réponse que Jean-Michel Connard aurait du me donner était :
"En fait j'en sais vraiment rien, parce que j'ai jamais côtoyé un seul Maori de près ou de loin pendant toute ma vie, mais comme je suis un Kiwi bien péquenot j'ai grandi avec l’idée fixe que tout ce qui n'est pas Britannique est dangereux, et comme tous les gens dans mon cercle de connaissances sont pareils, personne ne m'a jamais contredit, tout comme personne n'a jamais pointé du doigt l'ironie mordante du fait qu'au lieu d'essayer de tisser des liens avec les gens avec qui l'on partage ce pays depuis des siècles, à la place on choisisse d’idolâtrer le fantôme d'un système colonial complètement périmé, qui, même dans ses heures les plus grandioses, n'en a jamais rien eu à carrer de notre pomme".
Sauf que là, à la place, il a cherché des exemples pendant environ dix minutes, avant de bafouiller une platitude du style:
- Alors en fait je connais pas vraiment Panmure mais on m'a dit que c’était moyen comme quartier parce qu'il y avait des Maoris, mais je saurais pas vraiment te dire quel est le lien, pour ma part je trouve que ce sont des gens charmants et je suis pas du tout raciste, ha ha alors qui veut un jus de pomme?
Et bon, perso, je jubilais intérieurement de lui avoir mis le nez dans son caca, et j'avais bien envie de lui crier HA T'AS VU COMMENT T'ES QU'UN PAUVRE CON, mais comme je suis bien élevée, je me suis contentée de lui lancer un regard de mépris total, que j’ai peaufiné durant de nombreuses années passées au sein d’une famille de snobs.
(« Han, l’autre, il lit même pas Télérama. Et ça se dit cultivé ! Tu m’dégoûtes ») (Citation : ma mère, tous les jours, à tout le monde.)
Bref.
J’étais bien énervée pendant un moment, et puis je me suis dit, tu sais quoi ? Qu’ils aillent tous se faire foutre.
(C’est mon réflexe de base, dans la vie.)
(Je fonctionne au « fuck it ».)
Si vous trouvez que Panmure c’est craignos, tant pis pour votre mouille, vous ne savez pas ce que vous ratez. Nous on est contents, on a un bel appart dans un joli quartier, et s’il y a des Maoris tant mieux, on ira faire des barbecues avec eux et on se foutra tous de vos gueules, voilà.
Et maintenant, quand je dis que je vis à Panmure et que quelqu’un me sort un commentaire style « Han mais c’est dangereux », je réponds juste :
- Ouais Gisèle, mais tu sais quoi ? À Panmure, le danger, c’est moi.
Bref bref.
Et donc, la seconde raison pour laquelle Professeur Flaxou et moi on est très heureux, c’est parce que PLUS DE COLOCS HAAAN ON VIT ENFIN TOUT SEULS VAS-Y ON FAIT PIPI LA PORTE OUVERTE RIEN A FOUUUUTRE !
(C’est formidable.)
Et même si les colocs sont moins jouasse que nous (rapport au fait qu’ils doivent maintenant payer deux fois plus de loyer), même eux sont un peu soulagés aussi, d’autant que Maria est en plein mode « nidification » et voudrait commencer à préparer la chambre du bébé (AKA notre ancienne chambre) le plus vite possible avant l’arrivée de la petite princesse.
Oui, ils vont avoir une fille. On le sait parce qu’ils sont revenus de chez l’obstétricien en disant :
- Penny va avoir une petite sœur !
Oui oui. Penny. LE CHIEN.
Ce bébé va être l’égal du CHIEN.
(J’aimerais dire que je viens d’inventer cette phrase, mais ce serait mentir.)
(J’aimerais aussi dire qu’ils n’ont pas passé le reste de la soirée à expliquer à Penny qu’il fallait qu’elle soit raisonnable et mature maintenant qu’elle allait être grande sœur, mais malheureusement, ça aussi, ça serait mentir.)
Bref, avec des histoires de ce genre, je t’avouerais qu’on n’aurait pas pu être plus heureux de se casser de cette baraque de MALADES MENTAUX, parce que là, chaque jour qui passait, je frisais l’ulcère duodénal.
(Je vous ai raconté que Maria voulait apprendre au bébé nouveau-né à aller sur le pot ?)
(Oui oui, le nourrisson qui ne peut pas tenir sa tête debout. Elle veut lui apprendre à aller sur le pot.)
(Ceci implique donc de tenir le bébé au-dessus d’un pot toutes les demi-heures et d’attendre que quelque chose se passe.)
(À répéter tous les jours pendant un an et demi.)
(C’est cool parce que, quand on est parent d’un enfant en bas âge, s’il y a une chose dont on ne manque jamais, c’est bien de temps.)
(Aïe, mon ulcère.)
Bref, c’est donc avec joie qu’on a commencé à faire nos cartons, et avec stupéfaction qu’on a commencé à faire les magasins de meubles pour voir que attends quoi une table basse ça coûte MILLE QUATRE CENT DOLLARS ?
(Ah ben oui, à ce prix-la, je comprends mieux l’utilité d'un paiement sur 36 mois.)
Ah et puis c'est pas genre un exemple aléatoire, hein. TOUS les meubles coûtent la peau des couilles.
Hop, une table basse pas cher, soldée à mille boules, on n'est pas des bêtes:
Et c'est pas des trucs en bois précieux type Roche Bobois, fabriqués par des artisans locaux avec des matériaux équitables, hein.
Nan, c'est des trucs made in China avec les tiroirs qui ferment mal.
Tout pareil que chez nous, mais HYPER CHERS.
Putain, même la table basse en contreplaqué tout droit sortie d'un catalogue IKEA, elle est à SEPT CENT DOLLARS! Et ça c'est en SOLDE!
(Vive la joie d'habiter un petit pays au milieu de nulle part et d'avoir toutes les entreprises de distribution qui te font un gros doigt.)
Après avoir fait plusieurs magasins et hésité entre le rire et les larmes, pour finalement choisir le rire :
- Fla ! Viens voir ici ! Quatre mille dollars le canapé avec les fleurs de vieille mamie !
- Attends, j’ai mieux. Regarde pas l’étiquette : cette commode, sur une échelle de zéro à n’imp’, tu l’estimes à combien ?
(La réponse était : n’imp’ mille dollars.)
Après une bonne dose de rigolade, on a donc vite détalé des magasins de meubles neufs, et on est repartis sur des bases saines en achetant tout ce dont on avait besoin sur TradeMe, le seul site dont tu aies besoin en Nouvelle-Zélande.
(Imagine EBay, Le Bon Coin, Amazon, et Pôle Emploi, regroupés en un seul site.)
Et c’était parti pour une semaine de shopping, vu qu'on avait une maison entière à meubler et qu’on devait par conséquent acheter tous les objets de toute la vie entière.
(En tout cas, au vu des tickets de caisse, c’est ce qu’on a fait.)
(Ça allait d’un canapé à un presse-citron, en passant par des chaises et des chaussures.)
(Bon, les chaussures, c’est juste parce que c’était les soldes.)
Et puis, pleins de dollars plus tard, c'était enfin le jour du déménagement/pick-up des trois cent meubles qu'on avait achetés sur TradeMe et qu'on devait récupérer aux quatre coins d'Auckland le même jour, vu qu'on avait loué une remorque pour un seul jour.
En gros, on a un peu eu l'impression de vivre un épisode de Fort Boyard:
- Tourne ici! Dans Belair Drive!
- Je vois pas le numéro!
- 48, c'est là!
- Sors, sors! Y'a plus le temps!
- Plus vite!
- La clepsydre!
(Bon, OK, pas la clepsydre.)
(Mais le reste était pareil, juré.)
Et ce fut enfin le moment des adieux déchirants aux colocs, qui nous regardaient partir un peu comme ça:
(Faut s'imaginer un chien dans leur bras à la place d'un bébé.)
Mais bon, nous, de notre côté, on était un peu plus genre:
- NOTRE MAISON! NOTRE MAISON!
- Pas de poils de chien partout!
- Pas de file d'attente pour aller pisser!
- Eh Cha, tu sais quand est-ce que je peux prendre une douche?
- Quand ça?
- QUAND JE VEUUUUX!
- WOUUUUUH!
- NOTRE MAISON! NOTRE MAISON!
(Danse de la joie dans le jardin!)
Bref, sur ce, je te laisse, j'ai pas encore fini mon kif.
(En vrai j'ai aussi genre trente cartons à déballer, mais d'abord faut que j'aille dans la cuisine mettre de la musique et bootyshaker devant mon frigo.)
(Parce qu'il faut avoir le sens des priorités dans la vie.)
Les peuples indigènes n'en finiront donc jamais avec toutes ces invasions, qui les ont tant décimé dans l'histoire à coup de virus et de microbes....
RépondreSupprimerUne pensée pour ces pauvres gens, qui vivent leurs dernières heures de tranquillité - prochainement confrontés à la skyrimose à points blancs, à la minecraftite des marais, voire même à cette bloguingelle qui s'attaque si férocement à la rate.