samedi 16 juillet 2016

Bastille Day et Waitangi Day: l'instant Kiwi et les fêtes nationales


Et donc l'autre jour c'était la fête nationale.

Ou, comme on l'appelle en Nouvelle-Zélande, "Bastille Day".

Et là tu te demandes peut-être pourquoi donc est-ce que les néo-zélandais en ont quelque chose à taper de la fête nationale française au point de lui donner un nom, et honnêtement je me pose la question tout autant que toi.

Parce qu'on est d'accord que, quand on est un pays normal, on s'en balek des fêtes nationales des autres pays, oui? Enfin voilà, viens pas me dire que comme ça, de tête, tu peux me dire quel jour c'est la fête nationale italienne ou polonaise.

Moi-même, qui ai grandi à la frontière entre trois pays, je saurais pas te dire avec exactitude quel jour les Allemands fêtent la réunification (je sais que c'est quelque part en octobre) (j'ai envie de dire le 3 octobre mais je suis genre sûre à 65% seulement). Et pour la Suisse c'est encore pire, parce qu'on allait exprès à Bâle chaque année voir leur feu d'artifice qui dégommait tout, et j'ai même pas une vague idée de la date.

(Il faisait chaud, je crois.)

(Donc vers l'été?)

Du coup, c'est assez inexplicable pour moi que non seulement les Kiwis soient au courant de la fête nationale française, mais qu'en plus ils se souviennent de la date et qu'ils viennent me la souhaiter.

Ce qui me rendait d'autant plus perplexe qu'en France, bah, on se souhaite pas la fête nationale:

- Hey Charlotte! Happy Bastille Day!
- Ah, euh, bah, thanks.
- How do you say "Happy Bastille Day" in French?
- You don't.
- Oh? So what do you say?
- Well, in general, we say "Tu la bouges ta caisse, enculé?"
- And what does that mean?
- It means... "Hi".

Et puis alors je te racontes pas l'incompréhension culturelle quand TOUS LES GENS de ma boîte ont passé la journée à me demander ce que j'allais faire pour fêter Bastille Day, et que je disais "Rien". Et après les gens ils me regardaient avec des grands yeux de loutre comme si c'était la chose la plus triste qu'ils aient jamais entendu.




Sauf qu'en fait, en France non plus j'aurais rien fait, donc voilà José, te sens pas mal pour moi.

Et je te passe les quarante personnes qui m'ont demandé :

- En France, comment est-ce qu'on fête Bastille Day, typiquement?
- Bahhh... c'est l'été, donc les gens des fois ils font des barbecues.
- Et?
- Et pis le soir, on va voir le feu d'artifice.
- Et? 
- Et les vieux, des fois, ils regardent le défilé.
- Et vous mangez quoi?
- Ben on mange....on mange la même chose que les autres jours, QU'EST-CE QUE TU VEUX DE MOI GRANT??

Et puis je te raconte pas comment je me suis bien faite griller quand on m'a posé des questions pointues:

- Mais en fait, vous fêtez quoi exactement le 14 juillet?
- On fête la prise de la Bastille. C'était un événement majeur qui a marqué le début de la Révolution Française.
- Mais au fait, c'était quoi, la Bastille?



- C'était une prison... pour les prisonniers politiques... je crois?
- ....
- Et y'a une histoire d'armes, aussi.
- ....
- C'est les révolutionnaires qui ont récupéré les armes... et libéré les prisonniers? Je crois?
- ...
- Quoique y'avait peut-être déjà plus de prisonniers, en fait.
- ....
- Mais y'avait définitivement une histoire avec des armes!



(Ah ça valait bien le coup d'avoir un 16 au bac d'histoire-géo, tiens.)

Bref, comme j'ai passé ma journée à me faire griller par tous mes collègues sur mes connaissances de merde en Histoire de France, j'ai donc décidé de compenser en abordant enfin un mastoc morceau d'histoire néo-zélandaise que j'ai repoussé pendant des années parce que très compliqué: Waitangi Day.

Quel rapport, me diras-tu?

Le rapport, en dehors du fait que les deux sont des fêtes nationales, c'est aussi que les Kiwis fêtent Waitangi Day exactement comme les Français fêtent le 14 juillet: personne ne sait trop ce qu'on célèbre, on sait vaguement que c'est une histoire d'unité nationale et qu'il y a des têtes qui ont roulé y'a longtemps, mais globalement on s'en fout pas mal parce que c'est l'été et qu'on a un jour de libre pour faire griller des saucisses et aller à la plage.

Waitangi Day est fêté en Nouvelle-Zélande le 6 février, et célèbre la signature du Traité de Waitangi le 6 février 1840.

Le Traité de Waitangi, je l'ai déjà évoqué sur ce blog, mais je vais approfondit tout ça un peu plus ici.

C'est donc comme son nom l'indique un traité, qui a été signé entre la Couronne Britannique et plus de 40 chefs des plus importantes tribus maories de l'époque. La signature du Traité a mis fin à la guerre entre les colons britanniques et les tribus maories, et a marqué le début de la coexistence (plus ou moins) pacifique des deux peuples. 

le Traité était un tout petit document avec seulement trois articles (voici une copie de la version anglaise, pour ceux que ça intéresse).


Le Traité indiquait grosso modo que la Nouvelle-Zélande devenait une colonie britannique et que les Maoris cédaient leur souveraineté à la Couronne, en échange de quoi ils obtenaient les mêmes droits que les citoyens de l'Empire, et conservaient les droits de propriété de leurs terres.

Un deal plutôt honnête.

MAIS.

(Car évidemment, il y a un mais.)

Il y a eu deux problèmes majeurs avec le Traité: 

1. Le Traité ne dit pas la même chose dans sa version anglaise et dans sa version maorie. 

Et c'est un problème parce que la plupart des historiens s'accordent à dire que, si la traduction avait été exacte, le Traité n'aurait pas été signé (ou du moins pas par tant de monde).

Beaucoup de gens sont de l'avis que la version maorie a été volontairement modifiée pour tromper les chefs et les pousser à signer, mais personnellement, je pense que les erreurs de traduction auraient très bien pu être faites involontairement. Surtout quand on sait que la traduction a été assurée par un pasteur anglican et son fils EN UNE NUIT.



(Illustration du pasteur à qui on a demandé de faire la traduction.) 

Parce que j'imagine même pas le bordel que ça a dû être pour un type dont c'était la seconde langue (il faisait donc du thème et pas de la version, et tous les nerds qui ont fait du latin au collège savent que tu doubles déjà la difficulté rien qu'avec ça) de traduire un document plein de termes juridiques en une nuit, sachant qu'en plus la moitié des termes utilisés n'existaient pas en langue maorie, puisque les concepts eux-mêmes étaient totalement inconnus.

Les deux gros points de discorde sur la traduction portent sur les mots "Kawanatanga" et "tino rangatiratanga". 

"Kawanatanga" a été utilisé pour traduire "souveraineté absolue" (dans la phrase "les peuples de Nouvelle-Zélande accordent la souveraineté absolue à sa majesté la reine d'Angleterre). Sauf que "Kawanatanga" était le mot communément utilisé pour "gouvernement" – il semblerait que les chefs Maoris pensaient donc donner à la Couronne le droit de gouverner les terres, et pas qu'ils accordaient une supériorité hiérarchique à la Reine d'Angleterre. (De toute manière, le concept d'un monarque régnant sur un pays entier, c'était même pas envisageable pour eux.)

"Tino rangatiratanga" est un mot qui peut grosso modo être traduit par "autorité tribale." Dans l'article 2 de la version maorie du traité, il est indiqué que les chefs maoris pourront garder leur autorité tribale, ce qui implique conserver leurs propres lois – or, la version anglaise parle uniquement de conserver leurs terres et autres propriétés. 

Du coup, tu peux imaginer que les gars l'avaient un peu mauvaise quand ils ont signé le Traité et qu'on leur a dit:

- Bienvenue dans l'Empire Britannique! Maintenant c'est nous les chefs.
- Mais on avait pas dit qu'on restait les chefs quand même?
- LOL non.

2. Le Traité n'a pas été respecté par la Couronne Britannique.

Dans la culture maorie de l'époque, les serments d'honneur tenaient une importance capitale – la signature du Traité était donc tapu (sacrée). Du coup, les Maoris étaient tenus par tout ce que leur culture avait de plus fondamental d'honorer les termes du Traités.

Tandis que les Anglais, ils s'en battaient les couilles.

(Pour faire simple.)

Ils s'en battaient tellement les couilles que la Couronne n'a jamais daigné répondre aux appels au Parlement et aux plaintes officielles déposées par les Maoris pour rupture du Traité, et, en 1877, pour faire taire toute protestation, le Gouverneur a même carrément décrété le Traité de Waitangi "légalement nul". Le Traité n'a regagné sa valeur légale qu'en 1975, après une longue bataille juridique menée par des citoyens Pakeha et Maori pour faire valoir le Traité comme un document fondateur de la Nouvelle-Zélande.

(La même année a vu naître le Tribunal de Waitangi, qui est chargé d'enquêter sur toute rupture potentielle du Traité par le gouvernement post-1975.)

Bref bref.

Waitangi Day est un jour férié officiel depuis les années 1960, et est censé symboliser l'amitié entre les peuples, l'unité nationale, tout ça.

Sauf qu'en fait tout le monde s'en pète parce que c'est le milieu de l'été et que c'est vachement plus fun d'aller se baigner sous une cascade.


(Et c'est pas moi qui vais les contredire.)

En somme, Waitangi Day est plutôt similaire à notre fête nationale à nous.

MAIS.

(Car évidemment, il y a un mais.)

Waitangi Day, pour 90% des Kiwis, c'est une occasion de profiter d'un jour férié peinard. Et pour les 10% restants, c'est une occasion de se mettre bien vénère.

(Bon, "bien vénère" comme des Kiwis, hein.)

(C'est-à-dire qu'ils vont à la radio dire "Quand même je suis pas très content".)

Pourquoi ils sont pas contents? Ça dépend des camps.

Du côté Maori, certains profitent de la teneur symbolique du jour pour aller dire "C'est quand même pas cool qu'on célèbre le jour où s'est fait enfler royalement par les Anglais" (en oubliant un peu vite que c'est quand même le jour qui a marqué la fin d'une guerre sanglante que les Anglais auraient de toute manière fini par gagner).

Et du côté Pakeha, c'est le jour préféré pour les white supremacists et les fans de théorie du complot de tous poils pour venir beugler à la télé que "Quand même les Maoris ils seraient encore dans leur hutte à tailler des cailloux si on était pas venus leur apporter la civilisation! On leur doit rien du tout, le Traité il faut l'abolir et puis voilà!"

Les arguments de ces derniers sont bien souvent les mêmes, qu'on peut retrouver dans ce délicieux jeu de "Waitangi Day Bingo":


Alors, on a le très populaire "Je suis pas raciste, au contraire, comme je suis Blanc c'est moi la minorité opprimée" (parce que, n'est-ce pas, ce sont les iwi et le Tribunal de Waitangi qui tirent secrètement les ficelles du pouvoir) (avec les aliens reptiliens et les Illuminati, bien sûr).

(En fait, les iwi, c'est un peu les Francs-Maçons de la Nouvelle-Zélande, pour ces gars-là.)

On a aussi l'argument "génétique" qui ressort souvent, et qui veut à la fois tout et rien dire, parce que ces génies se contredisent souvent dans la même phrase, en sortant des trucs comme "Les Maoris c'est un peuple de guerriers, ils sont naturellement enclins à la violence parce que c'est dans leurs gènes, du coup il faut les mettre en prison autant que possible pour qu'ils se tiennent à carreaux" (ce qui en soi est déjà BRILLANT de logique). Mais après, deux minutes plus tard, les mecs vont venir te sortir que "De toute façon je vois pas pourquoi ils se plaignent d'être discriminés, ils sont même pas Maoris, les vrais Maoris pur sang n'existent plus, ils sont tous mélangés avec du sang blanc maintenant".


On trouve aussi le classique "De toute façon c'étaient pas les premiers en Nouvelle-Zélande, donc la colonisation était légitime" et "Et puis d'abord c'étaient des cannibales sanguinaires alors les Anglais à côté ils ont été bien sympas" (que j'ai déjà évoqués sur ce blog) 

Petite parenthèse: la référence à John Ansell dans le bingo mérite une explication, parce que ce gars est assez incroyable.

John Ansell est un membre du parti ACT New Zealand – un parti de droite conservatrice qui tient à la fois du FN (pour le côté ouvertement raciste et la volonté de réduire drastiquement les aides de l'Etat) et de Jacques Cheminade (pour le côté complètement illuminé et "le réchauffement climatique c'est un complot Marxiste pour nous empêcher de rouler en 4X4".)

Ces tarés de la bouteille ont tendance à glaner péniblement entre 0,5% et 1% des voix – ce qu'ils imputent bien naturellement aux élections truquées par les instances gouvernementales, parce qu'évidemment, si on laissait le peuple parler, ça fait longtemps qu'ils seraient au pouvoir, tu penses.

(C'est tellement super la vie de théoricien du complot.)

John Ansell et ses potes ne manquent donc pas de prendre vigoureusement la parole à chaque Waitangi Day pour venir raconter que le pays est secrètement contrôlé par les élites maories. 

(Mais si, tu sais, les élites maories. Tous ces très nombreux chefs d'entreprise Maoris, millionnaires Maoris, et stars du show-business Maoris.) 

(Ils sont tellement secrets qu'ils cachent même leur appartenance à l'élite, dis donc.)

(Ils vivent exprès dans la plus basse couche de la société juste pour nous jeter de la poudre aux yeux.)

(C'est fort quand même.)

ACT compte donc des êtres délicieux comme John Ansell, qui a créé un blog entier intitulé "Treatygate" dans lequel il raconte que "Grâce à la colonisation, les Maoris sont passés de l'âge de pierre à l'ère spatiale en seulement 150 ans, et je ne les ai toujours pas entendus nous remercier."

(C'est vrai ça, quelle bande d'ingrats.)

Il y a aussi des types comme Martin Doutré, un pseudo-archéologue et copain de néo-nazis, qui raconte que c'est en réalité les Celtes qui ont découvert la Nouvelle-Zélande plusieurs milliers d'années avant les Maoris.

(Oui oui, les Celtes de l'âge de bronze.)

(Ils ont fait vingt-quatre mille kilomètres à la rame sur des barques en bois.)

(Tutafé.)

Et pour compléter le tableau, on a leur bon copain Allan Titford, qui a notamment mis le feu à sa propre maison pour accuser la tribu Maorie locale, et a récemment été condamné à 24 ans de prison pour incendies volontaires, coups et blessures, séquestration et viol.

(Un type charmant, en somme.)

Mais les critiques de Waitangi Day, c'est aussi des arguments moins illuminés et plus plan-plan, comme le bon vieux réac "De toute façon moi je préfère Anzac Day" ou encore l'indémodable "Je suis pas raciste, j'ai un ami Maori qui pense comme moi" 

(Ils ont pris des cours chez Nadine Morano, on dirait.)

Et là je suis un peu embêtée, parce que j'allais conclure mon article en disant que, pour une fois, j'allais donner le point "meilleur pays" à la France pour ce qui est de la célébration de sa fête nationale.

Mais étant donné les nouvelles récentes, je pense que c'est moins important de distribuer des points, et plus important de se dire qu'au final, y'a des sales cons partout dans le monde. 


Mais tant que la majorité d'entre nous reste en mode "joie et amour", je pense qu'on tient le bon bout.

Donc, lecteur, lectrice: malgré tout, passe un bon été. Baigne-toi sous des cascades et fais des barbecues. 

Et si tu le fais pas pour toi, alors fais-le pour moi, parce qu'ici c'est l'hiver et que je mangerais bien un taboulé par procuration.

(Bisous.)

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