dimanche 26 mai 2019

Je m'fais pas de bile


(Ce titre est un jeu de mots à retardement, tu comprendras quand t'auras lu l'article.)

Et donc, au troisième trimestre de ma grossesse, j'ai commencé à ressentir des démangeaisons dans les mains et les pieds, qui ont progressivement empiré et se sont étendues aux bras et aux jambes, jusqu’à ce que je me retrouve à faire des quasi-nuits blanches passées à me gratter comme une forcenée.

Le gynéco m'avait dit que c'était rien, mais j’ai quand même fini par céder à l’appel de l’Internet et à googler mes symptômes (même si on est d’accord que c’est la pire chose à faire, surtout quand on est enceinte), et ce que j’y ai lu n’augurait rien de bon : pré-éclampsie, choléstase gravidique, bref, autant de mots qui foutent bien la trouille.

Au bout d’une semaine, j’ai donc profité d’un de mes cours sur l’accouchement pour demander à la sage-femme si elle pouvait me faire une ordonnance pour un bilan sanguin, vu que mon gynéco avait clairement mieux à foutre. Elle m’a demandé pourquoi, je lui ai décrit mes symptômes, et puis elle m’a regardé comme ça :


Avant de me dire :

- Alors, personnellement, je ne donne jamais d’ordonnances si je n’ai pas ausculté la patiente. Par contre, je vous conseille de rappeler votre gynéco et de lui demander un rendez-vous d’urgence. Ne vous laissez pas décourager, insistez ! Il vaut mieux faire un examen qui s’avère inutile que d’ignorer quelque chose de potentiellement dangereux.

Donc j’ai rappelé mon gynéco, ou plutôt sa secrétaire :

- Ah non, je ne peux pas vous le passer, il est en rendez-vous toute la journée.
- Est-ce qu’il peut me rappeler dans l’heure qu’il suit ?
- Ah non, il est en rendez-vous jusqu’à ce soir, mais il pourra vous rappeler vers 20h.
- Et me donner un rendez-vous demain ?
- Ah ben ça non, il part en vacances demain.
- ….
- Mais il pourra vous voir d’ici dix jours, probablement !

Moi et ma combativité légendaire, on a promptement déclaré :

- Oui okay désolée de vous avoir dérangé, merci !

Et puis Professeur Flaxou m’est tombé sur le râble :

- Non mais c’est n’importe quoi ! Tu vas me rappeler ce numéro et exiger un rendez-vous AUJOURD’HUI !
- Mééééé la madame elle a dit qu’il était occupééé…
- Je m’en fous ! Il faut t’imposer ! Rappelle-toi ce qu’a dit la sage-femme ! Il faut écouter ton corps ! Si ton corps te dit que ça ne va pas, il faut que tu tiennes tête ! Pour les bébés !
- Bon… pour les bébés.

J’ai donc rappelé, bien décidée à faire un scandale, épaulée par mon cher et tendre :

- Oui alors ça ne va pas trop…
- HEUM HEUM
_ Heu je veux dire, non, ça ne va pas DU TOUT ! J’ai un problème, c’est pas urgent…
- HEUM HEUM
- Enfin SI C’EST URGENT ! Et il faudrait que je puisse voir le docteur aujourd’hui, s’il a encore des disponibilités…
- HEUM HEUM
- Je veux dire IL FAUT QUE JE LE VOIE AUJOURD’HUI C’EST URGENT C’EST GRAVE VOILA MERCI BEAUCOUP DÉSOLÉE DE VOUS AVOIR DÉRANGÉ.


(Ce cauchemar)

Et là, surprise totale, la meuf m’a dit de passer immédiatement, et qu’on me trouverait un créneau.

(Donc en fait, insister … ça marche ?)

(Est-ce que c’est pour ça qu’il existe tous ces gens malpolis qui demandent à parler au responsable ?)

(Est-ce que JE devrais demander à parler au responsable ??!)

Bref, une-demi heure plus tard, je me retrouve dans le cabinet de mon gynéco, qui très clairement s’en cirait totalement la bite de mes problèmes :

- Je vous l’avais déjà mentionné la dernière fois…
- Et je vous avais dit que c’était rien.
- Oui, mais là, ça empire, ça s’étend, il paraît que ça peut être lié à des problèmes de foie, je m’inquiète un peu.
- Non, mais c’est rien, vous avez probablement juste la peau sèche. Prenez rendez-vous chez un dermatologue.

Alors, deux choses :

1) Je passe mes journées ET MES NUITS à m’enduire de crème hydratante pour soulager les démangeaisons, je suis luisante en permanence et ma peau miroite comme celle d’un dauphin, donc CLAIREMENT c’est pas un problème de peau sèche.

2) Je n’ai aucun bouton, aucune plaque, aucune tache, aucune rougeur, RIEN qui n’indiquerait un problème d’épiderme, donc laisse tomber pour que mon dermatologue accepte de me voir avant deux bons mois.

A contrecœur, le gynéco m’a quand même prescrit un bilan sanguin, en me disant que je pouvais y aller quand je voulais parce qu’il n’y avait pas besoin d’être à jeun.

Le lendemain, je me pointe au labo pour faire ma prise de sang :

- Vous êtes bien à jeun ?
- Heu… ben non. Le docteur m’a dit qu’il n’y avait pas besoin.
- Ah, ben je suis désolée, mais il s’est trompé. Pour les sels biliaires, il faut que vous soyez à jeun, sinon ça va fausser les résultats. Il faut que vous reveniez demain… ah non attendez, c’est férié ! Il faut que vous reveniez jeudi. Désolée.


TOUT. VA. BIEN.

Je me repointe au labo jeudi matin, bien à jeun, je fais ma prise de sang, et je pars bosser. Puis, dans l’après-midi, la secrétaire de mon gynéco m’appelle :

- On a reçu les résultats de votre prise de sang, et je veux pas vous alarmer, mais il faut vous présenter aux urgences dès que possible.


(Des fois, ça m’emmerde d’avoir toujours raison comme ça.)

S’en est suivi une heure de mics-macs, parce que je ne pouvais pas me présenter aux urgences sans mes résultats d’analyse, mais en fait y’avait que mon docteur qui avait reçu les résultats d’analyse, mais rappelle-toi il était en vacances et la secrétaire avait fermé le cabinet, donc j’ai appelé le labo et ils m’ont dit qu’ils m’avaient envoyé les résultats et que ça allait arriver d’une minute à l’autre, sauf que non, du coup j’ai rappelé, et là :

- Ah ! Mais je comprends mieux ! On vous a malencontreusement envoyé les résultats par la poste. C’est pour ça que vous n’avez rien reçu sur votre boîte mail !


(Non mais c’est la Saint Branquignole aujourd’hui, c’est pas possible.)

Bref, en fin d’après-midi, je débarque aux urgences pour qu’on me pose un monitoring.

(Un monitoring, c’est une machine qui surveille les battements de cœur des bébés, et les contractions utérines, s’il y en a.)

Après une demi-heure, un médecin arrive :

- On vous a expliqué ce que vous avez ?
- Absolument pas.
- Alors c’est probablement une choléstase gravidique. C’est un problème de foie assez rare dû aux hormones de grossesse. En gros, les cellules de votre foie n’évacuent plus la bile comme il faut, et les acides biliaires passent dans le sang, ce qui cause les démangeaisons.
- Et c’est dangereux pour les bébés ?
- Ça peut l’être. Les acides biliaires peuvent provoquer un ralentissement du rythme cardiaque des bébés, voire la mort in utero.


(Mais à part ça, c’était juste un problème de mains sèches, hein, trou du cul de gynéco ?)

Du coup, maintenant que j’étais sur place, les gens voulaient plus me laisser repartir :

- On n’a pas encore le résultat des sels biliaires, c’est ce qui nous indiquera le degré de votre pathologie. En attendant, on va vous donner une chambre, on fera des monitorings trois fois par jour, et on vous donnera un médicament qui va aider à combattre les démangeaisons.
- Et donc… je vais devoir rester ici cette nuit ?
- Cette nuit, demain… au moins jusqu’à lundi.

J’ai donc été hospitalisée pour la première fois de ma vie, et comme c’est pas les Etats-Unis et que j’ai une mutuelle, j’ai eu droit à une chambre privée. Donc, d’après mon expérience, être hospitalisée, c’est un peu comme séjourner dans un hôtel premier prix dont on n’aurait pas le droit de sortir.

Et où on viendrait t’étaler du gel sur le bide toutes les 4 heures.

Et où on te réveillerait à cinq heures du matin pour te faire une prise de sang.

(Je lui donne une étoile.)

(Quoique, tous les repas sont inclus, donc disons une étoile et demi.)

Plus sérieusement, mon séjour à l’hôpital était somme toute assez plaisant : les sages-femmes étaient super sympa avec moi, ma chambre était neuve et propre, j’avais une jolie vue sur les Vosges, donc, au final, mon seul grand challenge a été de gérer l’ennui abyssal qui me tenaillait jour après jour.

(D’autant que l’hôpital n’a pas de Wi-Fi.)

Donc j’ai lu des bouquins, j’ai fait des sudoku sur mon téléphone, ma mère m’a ramené des vieux numéros de Télérama pour me faire « de la lecture légère », je les ai lus, et je me suis énervée parce que comme d’habitude ces gens racontent systématiquement la fin des films et ça m’exaspère.

(Et je me suis aussi moquée de leurs critiques pompeuses pour des films qui ne méritaient clairement pas une analyse aussi poussée.)

(« Sous l’effet d’une sorte de saisissement tragique, la dernière partie séduit vraiment. Offerte au regard, l’insoutenable légèreté des héros fait vibrer le film et impose le respect, comme la mort de Roland à Roncevaux sur les gravures des livres d’école. Dans un râle saisissant, la saga trouve un souffle nouveau. »)

(Ceci était la critique d’Avengers : Infinity War.)

(ROLAND A RONCEVAUX ? VRAIMENT ?)

Puis les résultats de mes examens sont arrivés :

- Donc nous avons la confirmation, c’est bien une choléstase gravidique.
- Vous le savez grâce à cette histoire de sels biliaires ?
- C’est ça. En temps normal, la concentration des acides biliaires dans le sang doit être inférieure à 10 µmol par litre.
- Et moi, j’ai combien ?
- 76.


(Ah quand même.)

Donc ils m’ont donné des cachets à prendre deux fois par jour, et j’ai passé un long week-end entre prises de sang, échographies du foie, et monitorings.

Au passage, c'est confirmé, numéro 1 est décidément le jumeau maléfique, c.f. sa prestation impressionnante de « on m’voit, on m’voit plus » lors de chaque monitoring :

- Alors, j’ai posé les capteurs, je vous laisse, et je reviens dans…
- Il est parti.
- Pardon ?
- Le rythme cardiaque du premier, vous l’avez perdu.
- Oh, mais ! On l’entendait tellement bien !
- Ouais, je suis désolée de vous dire ça, mais vous avez pas fini.

En prime, une grosse pensée pour cette étudiante toute gentille qui a passé quinze minutes à trouver où se cachait le cœur de numéro 1, avant d’annoncer triomphalement « JE TE TIENS ! »… pour se rendre compte deux minutes plus tard qu’en fait c’était le battement de numéro 2 que la machine captait.


(Bébé numéro 1 en train d’esquiver les capteurs, une allégorie.)

Et puis est enfin venu le jour de mon analyse de sang :

- Alors en fait, votre taux d’acides biliaires a augmenté.
- Quoi ?
- Oui, avant le traitement, vous étiez à 76, et maintenant, c’est 104.
- Ça veut dire quoi ? Le traitement ne marche pas ?
- Pas forcément, des fois, ça met juste un peu de temps. On va vous augmenter la dose, refaire une prise de sang la semaine prochaine, et bien évidemment on vous garde hospitalisée tant que les taux n’ont pas baissé de manière significative.
- Ça veut dire combien de temps ?
- Ça dépend. Ça peut être une semaine, ça peut être jusqu’à la fin de votre grossesse.
- La fin de ma grossesse… dans deux mois ?
- Ha ha ! Non, bien sûr que non. Un mois maximum, et encore, ça, c’est si on a de la chance.

Oui, parce qu’il s’avère que mes acides biliaires ne se contentent pas de foutre la merde dans mon corps, mais qu’ils peuvent aussi déclencher un accouchement prématuré.

(Juste un petit bonus sympa.)

Je me suis donc installée pour un long séjour morose à l’hôpital, rythmé par mes trois monitorings par jour et la visite quotidienne de Professeur Flaxou.

Au passage, big up à ma team, vu qu’il ne s’est quasiment jamais passé un seul jour sans que j’aie de la visite de quelqu’un : papa, maman, belle-maman, mamie, belle-mamie, ma sœur, et évidemment ma fabuleuse Sarah qui est passé quasiment tous les jours.

(Mais en même temps, on avait trop de choses à se dire sur la dernière saison de Game of Thrones, il fallait du temps en face-à-face.)

(Je pleure encore sur le sort de la storyline de Jaime Lannister.)

(Sept saisons de développement de personnage foutues en l'air en un épisode, vraiment?)

(J'étais presque aussi fâchée que pour Ghost, mais finalement il a eu sa papouille donc tout est pardonné.)

Big up aussi à ma nièce de six ans qui a fait fondre mon petit cœur plein de bile :

- Regarde tata, je t’ai fait un dessin !
- Merci Lyson, il est très beau !
- Maman a dit que tu étais enfermée à l’hôpital et qu’il fallait que je te dessine un truc pour te faire voyager, alors j’ai dessiné toi et moi en voyage à la plage.
- C’est super ! On a un ballon, un cerf-volant… et tu nous as même dessiné un copain chat ?
- Ben oui ! C’est Frimousse ! Alors, ça te plaît?


(Frimousse = mon chat qui est mort il y a des années et qui était un si brave chat une vraie ordure mais je l’aimais quand même.)


(Le dessin en question)

Bref, je commençais à croire que j'allais rester enfermée dans ma tour d'ivoire jusqu'à la fin des temps, quand j'ai été sauvée par un docteur ridiculement beau gosse qui s'est pointé un beau matin dans ma chambre:

- Bonjour madame!
- Ouah.
- Je vous demande pardon?
- Non, bonjour, c'était "bonjour" que je viens de dire, oui, qu'est-ce que je peux faire pour vous?
- C'est plutôt moi qui peut faire quelque chose pour vous.
- Oh docteur, mais crois-moi tu peux me faire tout ce que tu veux....
- Pardon?
- Non rien, je toussais. Alors quoi de neuf?

Il s'avérait que Docteur Beau Gosse avait une bonne raison d'être là (en plus de me faire tourner la tête), parce qu'il avait le résultat de mes dernières analyses:

- J'ai de bonnes nouvelles! Vos acides biliaires ont bien baissés. En fait, ils sont même revenus à la normale.
- Et donc...?
- Et donc vous pouvez sortir dès aujourd'hui.


J'ai donc pu rentrer à la maison, non sans embarquer mille ordonnances pour douze sortes de pilules différentes à prendre toutes les six heures pendant le reste de ma grossesse – reste de grossesse qui sera heureusement assez court, vu qu'en cas de choléstase gravidique, l'accouchement est provoqué d'office à la 36è semaine – ce qui, pour moi, signifie aux alentours du solstice d'été.

(Je dis "heureusement" parce que je commence à être sérieusement handicapée par ce gros bide, et maintenant que je sais qu'ils vont bien, j'ai tout de même pas mal hâte qu'ils sortent.)

(Quelque chose me dit que je vais regretter ces mots dans quelques semaines, après dix-huit nuits d'insomnie d'affilée, mais ma foi je prends le risque.)

Épilogue : Devine quelle était la PREMIÈRE pensée de ma mère quand je lui ai dit que ses petits-enfants allaient arriver un mois plus tôt que prévu?

- Ah, mais c'est parfait! S'ils naissent avant le 21, ils seront Gémeaux!
- Des jumeaux gémeaux... okay, j'avoue, c'est marrant.
- Non, Charlotte, c'est pas que c'est marrant. Je voulais pas te le dire avant, mais la vérité, c'est que tu veux pas te retrouver avec un enfant Cancer.
- ....
- Alors DEUX !
- ....
- Déjà que ta pauvre soeur a eu un Scorpion, on va pas en rajouter!


Donc maintenant, il ne me reste plus qu'à attendre.

Attendre le 20 juin et ma mère qui s'introduira chez moi la nuit avec une seringue d'ocytocine pour s'assurer que je n'enfante pas des petits Cancers.

A bientôt pour les (toutes dernières) aventures de mon utérus!

4 commentaires:

  1. Ma fille est un petit cancer. Je.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Eh bien désolée de te l'apprendre, mais c'est Belzébuth, voilà :D

      Supprimer
  2. hé tu lui a mis les résultats dans le gosier à ton gynéco quand même ???

    RépondreSupprimer
  3. Je suis un cancer, damned :o

    RépondreSupprimer