mercredi 1 juillet 2015

L'instant Kiwi: Le New Zenglish



(Wikipedia n'est pas le dernier pour la déconne.)



Comme tu le sais, en Nouvelle-Zélande, on parle anglais.

(La géographie pour les neuneus, bonjour.)

Comme tu le sais aussi si tu me lis régulièrement, c’est un anglais un peu spécial : il est plein d’exclamations bizarres (cf. les "eh ?" qu’on entend à chaque fin de phrase), de termes exotiques (tels que "She’ll be right mate", qui signifie « ça va aller » - QUI est ce "she" ??), sans oublier l’accent qui te donne des envies de suicide aux premiers jours de ton arrivée.

(Sérieusement, quand les orthophonistes font des cauchemars, c’est l’accent Kiwi qui occupe la place d’honneur.)

Bref.

Niveau lexique, les Kiwis se rangent plutôt aux côtés de leur idole, le Royaume-Uni, quand il s’agit de se situer sur le clivage anglais britannique VS anglais américain  – mais ils sont quand même beaucoup plus cools que les Anglais quand il s’agit d’emprunter du vocabulaire américain.

(Et je dis ça en connaissance de cause, ayant passé un an à me faire corriger par tous les Anglais d’Angleterre dès que j’utilisais des mots américains par réflexe.)

("Oh, you mean the lift, dear", bah oui William Shakespeare mais moi j’ai été élevée avec des séries américaines, et aux dernières nouvelles c’est pas non plus un crime de dire "elevator".)

Bref.

Mais ce que je trouve le plus intéressant chez les Kiwis au niveau lexical, ce sont les mots qui n’existent qu’ici.

Par exemple, une expression locale commune est "Up the boohai", qui s'utilise pour dire que quelqu'un est perdu ou loin de la civilisation (exemple: "I can't reach her on the phone, she's somewhere up the boohai"). C'est l’équivalent Kiwi de notre Perpète-les-Oies, si tu veux. Et le mot "boohai" est en fait une déformation phonétique du mot "Puhoi", qui est le nom d'une rivière située loin au Nord de l’Île du Nord. 

"Up the Puhoi", littéralement « en amont de la rivière Puhoi », a donc évolué au fil du temps pour désigner un endroit loin de tout.

C'est un exemple typique tiré de la toponymie locale, mais bizarrement, il n'y a pas tellement d'expressions de ce type. Un truc beaucoup plus courant en Nouvelle-Zélande, c'est les versions kiwies de mots anglais existants.

Par exemple, la glacière (élément clé de tout été néo-zélandais qui se respecte) se dit en américain "cooler", donc littéralement « rafraîchisseur » - simple, efficace, concret, en plus y’a le mot « cool » dedans et chacun sait que les Américains adorent ça. Logique. 

En britannique, on dit "icebox", soit « boite à glace », et là aussi c’est logique car on se rapproche du terme français – un mot moins technologique que cooler, et qui désigne très simplement une caisse pleine de glace, à l’ancienne. Et en kiwi ?

En kiwi, on dit (tiens-toi bien) "chilly bin".

Soit littéralement « poubelle super froide ».

Voilà voilà.

(Après on s’étonne qu’à l’étranger ils passent pour des simplets.)

Dans le genre « simplicitay », on peut aussi noter le mot kiwi pour désigner l'épicerie du coin: là ou un Anglais dira "corner shop" et un Américain "convenience store", le Kiwi utilisera simplement le terme "dairy". Qui veut dire « produit laitiers ».

Et, pour ceux qui essayent désespérément de tirer un sens à tout ça, je vais briser vos derniers espoirs en disant que non, ils n'ont pas un autre terme pour les produits laitiers.

Les produits laitiers, c'est "dairy". Et l'épicerie, c'est "dairy" aussi.



Et puis bon, ensuite, y'a les mots qui sortent on ne sait d'où, du trou du cul d'un mouton peut-être, mais là on touche aux frontières du 'port nawak.

On peut citer parmi l’un des exemples les plus mémorables les "jandals", qui en Nouvelle-Zélande désignent les tongs. Et d’où ce mot vient, alors là je te jure c’est un mystère, on dirait un peu une déformation de "sandals" mais à part ça je n’ai aucune piste. Les Américains, eux, disent "thongs" – au pluriel (à ne pas confondre avec le singulier sous peine de résultats Google Images radicalement différents). Et les Anglais utilisent le terme très musical "flip-flop" (mais au moins on sait pourquoi).

Pareil pour le maillot de bain (on reste dans un vocabulaire orienté très plage) (en même temps, on est sur une île): les Anglais disent "swimsuit", les Américains "bathing suit", mais les deux mots veulent dire la même chose : « costume de bain ». Simple, logique, efficace.

Et là, roulez tambour, les Néo-Zélandais disent....

"Togs".

Togs?

Togs.



(Pourquoi?)

J’veux dire, “swimsuit” ou ”bathing suit”, on part sur une idée logique. C’est pareil en français avec « maillot de bain », en allemand avec « Badehose » (littéralement « pantalon de bain »), même en russe avec « купа́льный костю́м » ou en polonais avec « kostium kąpielowy », qui signifient encore une fois, tu l’as deviné, « costume de bain ».

Et là j’ai fait toutes les langues que je connais, mais je suis prête à parier mon chapeau que tu peux te pointer dans presque n’importe quel pays du monde, et que le mot pour « maillot de bain » sera une combinaison de « vêtement » et de « bain ».

Sauf en Nouvelle-Zélande, où apparemment on est un pays de gros punks et où on invente des mots qui ne veulent absolument rien dire.

Faut arrêter le massacre, les gens. Une langue, c’est un art, raffiné par des siècles d’évolutions, d’emprunts, de réflexions, de culture.

C’est pas « Eh viens à partir de maintenant on dit que tous les mots s’appellent cacahuète ! » Bande de dégénérés !

(Mon seul réconfort est de savoir que les Australiens disent aussi "togs" - du coup on n’est pas les seuls à avoir l’air débile.)

Et puis on arrive au mot Kiwi qui m’a donné le plus de fil à retordre, et pour cela, il est nécessaire de faire une petite mise en situation.

Quand je suis arrivée en Nouvelle-Zélande, je parlais déjà bien anglais, encore heureux (après une licence d’anglais, un an en Angleterre et un master trilingue, ce serait moche). Les seuls gros trous dans mon vocabulaire étaient le champ lexical des arbres, des poissons, et du matériel de bureau.

Alors, les arbres et les poissons, c’est pas trop étonnant, c’est pas du vocabulaire que tu utilises tous les jours (à moins d’être poissonnier ou garde forestier). Mais pour le matériel de bureau, je me suis rendu compte de mes lacunes en arrivant au boulot et en réalisant que, mis à part « crayon » et « stylo », je ne connaissais le nom de rien.

Du coup, ça a donné quelques échanges sympas :

- Hé, tu peux me passer le…. Euh… le truc ? Le truc qui est comme un stylo, mais avec des couleurs ?
- Un stylo rouge ?
- Non, un… rha ! Le truc ! Comme un stylo, mais avec des couleurs ? Et on le passe sur les mots… pour les voir mieux ?
- Un surligneur ?
- Oui ! C’est ça !
- ….
- Donc, comme je le disais précédemment, sans l’intervention du Conseil de Sécurité, la situation au Moyen-Orient ne peut que péricliter.
- ….
- Et sinon, tu sais pas où est la…. La machine qui fait des trous dans les feuilles ?

(Merci mon Master en relations internationales – je sais dire « OTAN » et « FMI » en anglais, mais je ne sais pas dire « perforateur ».)

Donc bon, c’était un peu la galère les premiers jours, mais j’ai vite rattrapé mon retard dans ce champ lexical.

Là où j’ai eu des soucis, c’est quand j’ai réalisé que les fournitures de bureau avaient, elles aussi, leurs propres noms en Zélandie. 

Et donc, après m’être ridiculisée une première fois auprès de mes collègues étrangers pour ne pas connaître des mots comme "hole puncher" ou "highlighter", je me suis ridiculisée une seconde fois auprès de mes collègues Kiwis pour ne pas connaître des mots comme "Blu-Tack" (bah oui mais chez moi on dit « patafix », pardon).

Sans compter que les Néo-Zélandais, en bons anglophones, sont complètement nuls quand il s’agit d’interagir avec des étrangers - à savoir que, quand ils sont confrontés à quelqu’un qui ne comprend pas ce qu’ils disent, ils répètent juste la même chose vingt fois d’affilée (sans changer de vocabulaire, d’intonation, ou d’accent).

Alors ci-mer les explications trop utiles :

- Charlotte, do you have any Twink?
- Any what?
- Twink.
- What’s that?
- Twink.
- Yeah, okay, but what is it?
- Twink!



NON MAIS C’EST BON JEAN-GEORGES JE SUIS PAS SOURDE, T’AS PAS BESOIN DE ME RÉPÉTER TWINK TWINK TWINK COMME UNE SONNETTE DE VESTIBULE !

Et le pire, le pire, c’est que je connaissais ce mot ! 

Parce qu’après avoir enfin tiré les vers du nez de mon collègue, il s’avère qu’il me demandait du Tipp-Ex (du « correcteur liquide » si tu es l’Académie Française), et que je connaissais ce mot en anglais ! En anglais, on dit "white-out" ! Quand on est des gens normaux et pas des tarés du vocabulaire, on dit “white-out”! On n’invente pas des mots pour des termes qui existent déjà juste parce qu’on trouve le son rigolo !

(J’te jure, quand j’entends le lexique Kiwi, je m’imagine qu’il a été inventé par un mec défoncé en train de courir à poil dans la forêt en criant "TWINK TWINK TOGS".)

(Je ne peux pas le prouver, mais je pense sincèrement que c’est comme ça que ça s’est passé.)

Bon, en vrai, je fais ma mauvaise langue : Twink est en fait une marque de correcteur (comme Tipp-Ex), et le nom de la marque a fini par désigner le nom du produit. C’est un procédé très courant et qui arrive dans le monde entier.

(Par contre, pour "togs", aucune excuse.)

Je vais finir cet article sur les expressions purement kiwies, qui sont une source de rigolade de tous les instants.

Car, à vrai dire, en arrivant dans ce pays, je m’attendais à trouver des expressions et proverbes du style « ça ne se trouve pas sous la patte d’un mouton » ou bien « ça ne vaut pas une crotte de kiwi », t’sais, des trucs locaux, quoi.

Mais en fait, c’est beaucoup plus fun que ça.

Car les expressions Kiwies vont de « complétement n’imp » a « radicalement n’imp »,  j’en veux pour preuve la perle "Bob’s your uncle" (littéralement « Bob est ton oncle ») qui s’utilise a peu près comme le français « tout est bien qui finit bien », et qu’on entend souvent à la fin d’une série d’instructions. Exemple : "Chuck it in the oven and Bob’s your uncle" - des instructions de cuisson que j’ai trouvées au dos d’une tourte.

Une autre expression que je trouve suprêmement magnifique est "Box of birds" (littéralement « une boîte d’oiseaux ») et qui signifie « super » ou « génial ».

(Ce pays n’a aucune explication.)

Et si tu peux imaginer ma stupeur la première fois que j’ai eu cette conversation :

- Hi, how are you?
- Box of birds!


(Sérieusement?)

Alors tu peux t’imaginer avec quelle surprise j’ai accueilli les variantes de cette expression, car oui, les Kiwis ne se contentent pas uniquement de “Box of birds”, mais peuvent également te dégainer à tout moment dans une conversation un nonchalant "BOX OF FLUFFY DUCKS", soit littéralement « une boîte de canards duveteux » - quelquefois abrégé en "Box of fluffies".


(CE PAYS ENTIER EST N’IMPORTE QUOI.)

Mais, plus sérieusement, je suis de l’avis qu’on apprend beaucoup d’une culture à travers le prisme de sa langue. La vieille histoire des cinquante mots eskimo pour dire « neige » a beau être fausse, l’étendue de vocabulaire d’une langue sur certains termes n’est pas anodine.

(C’est pas pour rien que les Anglais ont au moins vingt termes différents pour designer la pluie.) (Avec des différences aussi pointues que "shower" (une averse courte) et "downpour" (une averse un peu plus longue, mais relativement courte quand même.))

Et, pareillement, je pense que c’est assez révélateur que la majorité des expressions Kiwies soient des choses qui traduisent la bonne humeur.

De "Bob’s your uncle" à "Box of fluffies", en passant par le mythique "Sweet as" (que je ne présente plus), les expressions Kiwies semblent toutes s’entendre sur le fait que tout va super bien et qu’on est trop heureux dans la vie, vive l’amour et les chatons.

(Ajoute à ça le fait que tous les Kiwis de moins de 40 ans t’appellent "Mate" et que tous les Kiwis de plus de 50 ans t’appellent "Love", et tu comprendras pourquoi j'ai l'impression de vivre chez les Bisounours.)

Je terminerai cet article par mon expression Kiwie préférée de tous les temps (et qui veut elle aussi dire « super, cool, la vie est belle »). Et comme elle est si merveilleuse, je vais te la dévoiler dans le contexte exact où je l’ai entendue pour la première fois :

Acte I, Scène 1 : Intérieur, bureau du patron.

- Hi boss, do you mind if I leave a little early today?
- Not at all.
- Thanks!
- Cool bananas!

COOL BANANAS.


(Meilleure expression du MONDE.)

PS: Et comme les expressions et les proverbes c’est l’une de mes grandes passions (avec la mythologie, les accents, et les différentes saveurs de chips), je te mets à contribution, lecteur/lectrice : pose tes jolis doigts sur ton clavier et dis-moi quelle est ton expression locale préférée (ca peut être de France ou de Navarre ou de Finlande, peu me chaut). Et si c’est aussi génial que "Cool Bananas", je t’envoie une carte postale. (Et même si tu veux je mettrai un timbre avec un kiwi dessus.)

(Mais je pense qu’il va falloir y aller pour trouver un truc aussi sublime que "Cool Bananas".)

À vos touchpads, les gars !

EDIT MERCI à tous de m'avoir fait découvrir des merveilles telles que "damn right Skippy", "das ist mir Wurst egal" ou encore le SUBLIME "Pipifax". Comme je n'arrivais pas à vous départager, j'ai décidé que tout le monde aurait sa carte postale! Envoyez-moi votre adresse postale à tindomerel@hotmail.fr, avec, si vous le souhaitez, des préférences pour le thème de la carte (mouton, kiwi, montagne, plage, j'ai de tout!)


Bisous bisous, et encore merci de votre participation!

8 commentaires:

  1. Je participe ! Mon expression favorite du moment me vient de la comptable allemande du boulot. Comme tu peux t'imaginer, elle est du genre cool bananas(Comptable. Et Allemande.)

    - Oui non mais tu comprends, le client va payer hein, il a juste besoin de temps.
    (moi quand j'essaie de sauver la mise à mon client fauché, pour le protéger des méchantes engeances comptables)
    - ... DAS IST MIR WURST EGAL .

    (Variante : "Das ist mir wursty")

    Chère Collègue Allemande Coincée : "Merci pour ce moment."

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  2. Dans la Sarre où je vis depuis quelques temps, on a l'équivalent de "À perpète / À Pétaouchnok" aussi; on dit "Bis Pont-à-Mousson" (en prononçant "Moussong"), qui est une ville à envie on 50-60 bornes du côté français. Mon mec a découvert que c'était une vraie ville il y a seulement 1 an, à presque 26 ans. Il était persuadé que ça ne voulait rien dire, moi ça m'a bien fait rigoler.

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  3. Mon coloc Australien avait pour manie de toujours dire "Damn right Skippy" quand on avait raison sur quelque chose...

    Et mon ex Kiwi , pour répondre à une question de type "are you..." commençait toujours par "Sure am ,Batman".

    Sinon, niveau mots qui ne veulent rien dire en dehors de la NZ, on s'est souvent pris la tête sur "jandals", "singlet" (pour moi c'est "top" ou "vest") , "long John's" (ah bon, on dit plus leggings ?) ...

    Voilà voilà.

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  4. "Jaï ien ien" en Thaï, qui se traduit par "coeur froid froid".
    Cela veut dire "du calme", "tranquille", "relax max" et ca s'utilise quand les esprits s'echauffent ou quequelqu'un perd son sang-froid...

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  5. En Autriche, ma grande favorite c'est "PIPIFAX", dans "das ist nur pipifax".
    La première fois que je l'ai entendue j'ai cru que mes oreilles me trahissaient :D

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  6. Bon ben moi je connais pas d'expressions aussi cool que cool bananas, mais je veux bien quand même ma carte postale!!!!!!

    (je peux, dis, je peux?)

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  7. Je suis un peu à la bourre mais je participe quand même :)

    Depuis que je vis et travaille au UK, j'ai fait quelques trouvailles intéressantes :
    - "too cool for school"
    - he's stick (tu as donc le choix d'être la carotte ou le bâton"
    - j'ai été... surprise la première fois que le PDG de ma boîte a dit de mon boss que 'he is anal' (pointilleux)
    - une de mes amies a cette expression que j'aime beaucoup : "il fait frisquet de la coquillette"
    - et enfin, dans un registre moins classe, quand tu vas faire la grosse commission, tu peux dire "je vais casser la faïence" ou (et là j'avoue que la première fois que je l'ai entendue, j'ai beaucoup ri mais j'ai eu honte de le faire parce que quand même, le respect...) "je vais libérer Mandela".

    J'espère que je n'arrive pas trop tard pour la carte - team Kiwi, au fait !

    Merci pour tous tes chouettes articles !

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  8. Cet article m'a fait hurler de rire ! Bon je crois que j'arrive un peu tard pour les cartes postales mais je vais quand même te dévoiler trois expressions du cru de ma grand-mère (d'origine normande) (donc VIKING) :

    - Ca va mamie, t'es bien installée ?
    - Ah oui ! Le roi n'est pas mon cousin !

    - T'en veux combien de clémentines, mamie ?
    - Deux, comme l'évêque de Bayeux !
    (#LOCAL)

    - Le vin c'est cher si c'est pour le pisser après.

    Sinon continue avec tes articles hilarants, c'est un vrai régal à chaque fois ! Je t'ai découverte y a pas longtemps et promis je laisserai d'autres marques de mon passage :) (dit comme ça c'est un peu cracra mais anyway)
    Plein de bisousssss

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