dimanche 18 octobre 2015

L'instant Kiwi: les idées reçues au pays des fougères II


On continue le tour des idées reçues les plus répandues chez les Kiwis, et c’est le bon moment pour te parler de l’ethnocentrisme.

L’ethnocentrisme désigne le fait de « voir le monde et sa diversité à travers le prisme privilégié et plus ou moins exclusif des idées, des intérêts et des archétypes de notre communauté d'origine, sans regards critiques sur celle-ci ». En gros, c’est la tendance d’un peuple à établir sa culture comme mètre étalon des autres : cf. ma mamie qui regarde des photos de mon tonton au Japon, et qui, en voyant des gens manger assis sur des coussins par terre, s’écrie : « Mon dieu ! Ils sont si pauvres ! Ils n’ont même pas de quoi se payer des chaises ! »

(Il a quand même fallu la dissuader d’envoyer un chèque aux gens de la photo, « pour qu’ils puissent enfin arrêter de manger par terre comme des animaux ».)

(Véridique.)

Et les Kiwis, en fait, c’est un peu comme ma mamie : ça ne part pas d’une volonté consciente, mais ils ont une grosse tendance à rabaisser les autres cultures, même celles qui sont présentes en masse sur leur territoire.

Cela vient en partie d’un manque de perméabilité entre les cultures (chacun fait sa vie dans son coin, et quasiment personne ne fait l’effort d’aller vers un autre groupe ethnique) et d’autre part de la culture coloniale britannique - car même si la colonisation de la Nouvelle-Zélande s’est faite sans trop de sang versé (comparativement aux massacres qu’on a pu observer en Australie, par exemple), de un, ça ne veut pas dire que c’était bien vu de fraterniser avec les indigènes, et de deux, les Kiwis « de souche » ont quand même l’idée ancrée en tête que la culture britannique c’est la meilleure et la plus géniale du monde, Rule Britannia et God Save the Queen.

Bref.

J’ai donc entendu pas mal de clichés de la part de certains Kiwis, mais somme toute assez semblables à ceux que l’on peut trouver partout de par le monde chez les gens moyens ouverts d’esprit.

Par contre, il y a deux idées reçues, concernant respectivement les Samoans et des Maoris, qui sortent du lot des clichés communs, en ce sens que la grande majorité des gens y croient dur comme fer – notamment parce que ces idées reçues sont en partie basées sur des faits établis, ce qui les rend d’autant plus pernicieuses.

On commence avec celle qui m’a fait écarquiller les yeux : les Fa'afafine.

Alors, tout d’abord, il va falloir faire un petit cours de civilisation, parce qu’on va se pencher sur une culture complètement inconnue en Europe : les Samoans.

Les Samoans sont les habitants de Samoa (ça va, jusqu’ici c’est facile), une île perdue dans le Pacifique.


(À ne pas confondre avec American Samoa, qui est juste à côté, mais qui est un territoire des États-Unis.)

Samoa était au départ une colonie allemande, mais après la Première Guerre Mondiale, la Ligue des Nations a confisqué la colonie aux Allemands, et la Nouvelle-Zélande a repris le contrôle de Samoa. Samoa était donc une colonie néo-zélandaise de 1914 à 1962, parce qu’apparemment ça leur avait pas servi de leçon aux Kiwis d’être eux-mêmes une colonie.

Aujourd’hui, Samoa est un État indépendant, mais bénéficie de liens très forts avec la Nouvelle-Zélande, notamment au niveau de l’immigration, puisque les Samoans reçoivent instantanément la nationalité Néo-Zélandaise s’ils en font la demande.

Et comme à Samoa, y’a que trois mille kilomètres carrés de terres (qui reculent de jour en jour sous la montée des eaux), que le PIB est l’un des plus bas au monde, et que la seule économie du pays, c’est la culture des racines, tu te doutes qu’il y a pas énormément de perspectives d’avenir sur l’île.

Du coup, il y a aujourd’hui 200 000 Samoans qui vivent a Samoa, et 130 000 qui vivent en Nouvelle-Zélande. Et les projections démographiques estiment que, d’ici 20 ans, il y aura plus de Samoans en Nouvelle-Zélande qu’à Samoa.

Et les Fa'afafine, c’est un exemple flagrant du manque de communication qui existe entre les Kiwis « de souche » et leurs populations immigrées – même quand elles sont aussi nombreuses que les Samoans.

Bref. Les Fa'afafine, qu’est-ce que c’est ?

Eh bien, si tu demandes à un Kiwi, il va te dire ça :

« Les Fa'afafine sont des garçons Samoans que leurs parents élèvent comme des filles pour qu’ils puissent s’occuper des tâches ménagères. »

Et je t’avoue que quand on m’a dit ça comme ça, à froid , j’ai failli m’étrangler avec ma pavlova.

Parce qu’on est d’accord que l’idée d’une culture où les parents décident de faire changer de sexe à leurs enfants pour qu’ils puissent passer l’aspirateur, c’est un poil chelou, non ?

- Poussin, tu peux m’aider a décharger les courses ?
- Ben non, je suis un garçon.
- Ah oui, suis-je bête. Enfile une robe et viens m’aider.
- Hein ?
- T’es une fille maintenant.
- Mais je…
- Ta gueule.
- …
- Va faire la vaisselle.

Piquée par la curiosité, j’ai donc fait mes petites recherches, et la réalité, tu t’en doutes, est un poil plus complexe.

Effectivement, les « Fa'afafine » sont des Samoans nés de sexe masculin, mais qui ont des comportements considérés majoritairement comme féminins. Les Fa'afafine ne sont cependant pas des transsexuels : ils restent biologiquement des hommes, même si la société Samoane ne les considère pas comme tels. Cependant, elle ne les considère pas comme des femmes non plus -  les Fa'afafine sont en fait un troisième sexe.

Concrètement, les Fa'afafine s’habillent généralement avec des vêtements féminins, ont les cheveux longs, mettent du maquillage, et remplissent souvent les rôles sociaux des femmes (notamment s’occuper des tâches ménagères – d’où le cliché Kiwi), même s'ils peuvent aussi occuper des rôles plus "masculins".

Quelques Fa'afafine célèbres:


(Fuimaono Karl Pulotu-Endemann, un juge de paix et professionnel de la santé, qui a notamment beaucoup œuvré pour développer le traitement des troubles de la santé mentale chez les Polynésiens de Nouvelle-Zélande.)


(Jaiyah Saelua, joueuse de football professionnelle pour l'équipe nationale d'American Samoa, et la première personne transgenre à jouer pour une équipe masculine dans une Coupe du Monde de la FIFA.)


(Brother Ken, un personnage fictif qui joue le principal d'un collège dans la série néo-zélandaise Bro'Town.) (Un genre de South Park avec des Polynésiens.) (Tu peux trouver tous les épisodes sur Youtube, mais je te conseille de t'accrocher, parce que les accents sont coriaces.)

Les Fa'afafine sont plutôt bien acceptés dans la société Samoane, même si l’influence des groupes chrétiens radicaux a eu des conséquences très négatives ces dernières années (tiens donc, l’Église n’est pas fan des LGBT, comme c’est étonnant.) Mais ils sont généralement bien acceptés au sein de leur famille – dans une étude, 80% des parents de Fa'afafine déclarent qu’ils n’ont pas tenté de pousser leurs enfants vers des attitudes plus masculines. Avoir un enfant Fa'afafine est d’ailleurs souvent une bonne nouvelle pour les parents niveau plan retraite, parce que les Fa'afafine restent majoritairement au foyer à s’occuper de leurs aïeux, vu qu’ils ne peuvent pas se marier ou avoir d’enfants – à Samoa, le mariage est autorisé uniquement entre un homme et une femme, et les Fa'afafine, rappelle-toi, ne sont techniquement ni l’un ni l’autre.

Alors je pense comprendre comment la réalité a été tordue de manière à ce que l’on arrive à l’énormité que j’ai entendue, mais qu’on mette les points sur les I : ce ne sont pas les parents des Fa'afafine qui décident, comme ça, « tiens, on va élever notre garçon comme une fille ». Et, mine de rien, ça fait quand même une grande différence : parce qu’accepter le changement de sexe de son enfant, c’est de la tolérance, mais forcer son enfant à changer de sexe pour le transformer en esclave personnel, c’est de la maltraitance.

(En plus en général ça finit mal ces histoires d’enfants esclaves, t’as jamais lu Cendrillon ou quoi ?)

(Laisse tomber comment tu vas finir avec les yeux crevés et des morceaux de pied en moins.)

(Franchement, passe le balai toi-même, t’auras moins d’emmerdes.)

Bref, tout ça pour dire : les Fa'afafine ne sont PAS des garçons que l’on transforme en filles contre leur gré ; ce sont des garçons qui n'ont pas envie de remplir les idéaux (ultra exigeants) de masculinité à Samoa, et choisissent donc (CHOISISSENT) de remplir des rôles sociaux féminins.

Bref, je pourrais en écrire des pavés pendant des heures, parce que je trouve ce concept de troisième sexe fascinant, et je pense que la notion a certainement un rapport avec le fait que la société Samoane est hyper intolérante sur la question de l’homosexualité (l’homosexualité entre hommes est interdite par la loi, et passible de sept ans de prison, quand même). Du coup je pense que ce n’est pas un hasard que les Fa'afafine soient généralement attirés par des hommes – parce qu’une relation entre un homme et un Fa'afafine, ce n’est pas considéré comme de l’homosexualité. (Hop, pirouette sociétale.)

Bref bref Brejnev.


(Mais non, c'est juste une expression, enfin!)

Changement de culture, on va aller du côté des Maoris, et s’aventurer en terrain glissant en abordant le sujet de la légitimité du peuple Maori.

Il faut savoir que les iwi (tribus) maories sont assez actives dans leur bataille avec le gouvernement néo-zélandais, pour qu’on leur restitue les terres qui leur ont été prises à l’époque de la colonisation. Tout cela peut être résumé au gros quiproquo du Traité de Waitangi (que j’ai déjà évoqué sur ce blog) : en gros, le gouvernement dit que les Maoris ont cédé leurs terres de plein gré, et que du coup c’est trop tard pour se la ramener maintenant, et les Maoris disent qu’ils ont été dupés sur la marchandise, parce que le Traité disait qu’ils pourraient conserver leur souveraineté – ce qui n’a pas été le cas.

L’argument principal des Maoris dans leur bataille pour la souveraineté, c’est évidemment le fait qu’ils étaient là les premiers – et que, du coup, la couronne britannique leur avait pas exactement volé leurs terres, mais les avait bien arnaqués quand même.

Et, un beau jour que je discutais de ça avec des amis Kiwis et étrangers, un Kiwi nous a répondu:

- Mais de toute façon c’est des conneries cette histoire de qui était là en premier. Ça n’a pas sa place dans le débat, vu que les Maoris n’étaient pas le premier peuple à être arrivé en Nouvelle-Zélande.

La, y’a eu un moment de WTF général, parce que, parmi les étrangers, on avait tous lu dans nos petits guides touristiques que les premiers sur place, bah, c’étaient les Maoris.

Et notre Kiwi de continuer :

- On dit que les Maoris étaient les premiers parce que c’est eux qui étaient la quand les britanniques sont arrivés. Mais, en vrai, il y avait un autre peuple autochtone avant : les Moriori.

Là, on était encore plus perturbés, parce qu’on n’avait jamais entendu une seule mention de ce peuple. L’explication n’a pas tardé :

- Les Moriori étaient un peuple pacifique et ils ne savaient pas se battre. Du coup, quand les Maoris ont débarqué, ils les ont massacré jusqu’au dernier. Donc qu’on ne vienne pas me dire que c’est eux qui ont été injustement colonisés ! C’étaient déjà des colonisateurs ! Les Britanniques étaient juste la deuxième vague ; et ils ont été vachement plus cléments.

Là, je t’avouerai que j’étais intriguée. Donc j’ai fait mes recherches, et ce que j’ai découvert n’était pas joli-joli.

Les Moriori sont un peuple qui a vraiment existé sur les Iles Chatham : un archipel néo-zélandais situé à 800 km à l’Est de la Nouvelle-Zélande, et où on trouve des cailloux, et voilà. (Sans déconner, le truc c’est trois rochers empilés au milieu de l’océan, avec un vent glacial et une humidité permanente.) (En gros, faut être motivé pour vivre là-bas.)


Aujourd’hui, il y a 600 habitants sur les Iles Chatham, dont une toute petite poignée de descendants Moriori. Mais il y a quelques siècles, il y en avait beaucoup plus…

...avant qu’ils ne se fassent quasiment tous exterminer par les Maoris.

« Ah mais en fait c’est vrai cette histoire ?? », t’exclames-tu.

Eh ben, oui et non. Mais commençons par le commencement.

Au XIXè siècle, des archéologues et ethnologues britanniques découvrent des ossements de moa à côté d’outils de chasse qu’ils estiment dater du Paléolithique.


(Pour rappel, le moa, c'est ça.)

Ayant déjà daté l’arrivé des Maoris au XIIIe siècle, les scientifiques se disent que ces traces proviennent d’une civilisation antérieure.

Leur théorie est reprise par S. Percy Smith, un ethnologue dont le boulot était de découvrir la date d'arrivée des Maoris en Nouvelle-Zélande. En "arrangeant" les témoignages de tradition orale maorie dans l'ordre chronologique, il identifie pas mal de trous, qu'il bouche avec un peu tout ce qui lui passe sous la main. Et les os datés du Paléolithique lui donnent un super point de départ pour sa théorie de la « Great Fleet », selon laquelle les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande étaient les Moriori, un peuple de chasseurs-cueilleurs pacifiques de race mélanésienne (donc plus noirs que les Polynésiens - tu verras que ça aura son importance), et qui aurait été chassé sur les Iles Chatham par les Maoris en 1350.

Cette hypothèse devient super en vogue chez les Anglais et est très vite élevée au rang de fait, puisqu'elle démontre deux choses: 1. Que les Anglais ne sont que la vague de colonisation suivante, pas la première, et 2. que la race blanche est supérieure aux autres, puisqu'on a une preuve historique qu'à travers les siècles, une civilisation plus blanche et plus avancée vient à chaque fois supplanter les sauvages noirs et stupides.

Et comme en plus on est en plein boom des théories Darwiniennes, tu lances une pincée de "survie du plus fort" là-dedans, et tu as une magnifique justification pour la colonisation.

C'est marrant comme tout s'arrange à pic, hein?

Sauf qu’en fait c’était totalement faux.

Déjà, parce que les Moriori sont des Polynésiens, pas des Mélanésiens, donc techniquement eux et les Maoris font partie de la même « race » (selon la pensée du XIXè siècle et de Nadine Morano).

En fait, on pense aujourd’hui que les Moriori étaient à l’origine des Maoris, qui ont émigré de Nouvelle-Zélande et se sont installés sur les Iles Chatham vers le XIVè siècle. Une fois sur place, ils ont développé une langue et une culture à part, jusqu’à former un peuple bien distinct.


(Moriori en 1877.)

Notamment, les Moriori étaient rigoureusement pacifistes et avaient banni toute forme de conflit armé de leur société – à l’exact opposé des Maoris, qui étaient moins connus pour leur penchant à faire des câlins et des guilis, et un peu plus connus pour leur penchant à faire la guerre et à manger leurs ennemis en se baignant dans leur sang.

(Les Vikings du Pacifique, je te rappelle.)

Bon mais alors c’est vrai ou c'est faux, au final, cette histoire de massacre ?

En fait, non, y’a bien eu un massacre, mais c’était beaucoup plus tard, et (en partie) motivé par les colons britanniques.

Dans les années 1830, en pleine guerre coloniale, ça commençait à sentir mauvais pour les Maoris, qui enchaînaient les défaites contre l’armée britannique. Un iwi Maori a alors décidé que maintenant y’en avait marre et que c’était à leur tour d’aller coloniser des gens. Une tribu d’environ 500 guerriers a donc débarqué sur les Iles Chatham en 1835, armés de haches et de mousquets, et ont informé les Moriori ébahis que « Maintenant c’est chez nous ici, vous êtes nos vassaux ».

(On sent d’où leur est venue l’inspiration.)

Les chefs Moriori se sont réunis et ont décidé de ne pas se battre car c’était contraire à leurs principes… puis se sont faits promptement égorger et cannibaliser par les Maoris.

(On dirait la morale d’une fable horriblement cruelle.)

(Jean de la Fontaine approuve.)

On estime qu’environ 10% de la population a été massacrée sur-le-champ dans un rituel de victoire, et les hommes, femmes et enfants restants réduits en esclavage. En 1862, même pas 30 ans après la première incursion, il ne restait qu’une centaine de Moriori sur une population de 2000 avant l’invasion.

(Pour en savoir plus, tu peux te rendre sur la super mine d'informations qu'est Te Ara Encyclopedia.)

Donc, le génocide des Moriori aux mains d’une tribu Maorie, c’est vrai, MAIS les historiens de l’époque se sont plantés sur la date de plusieurs centaines d’années.

Et ça peut sembler être juste un petit détail chronologique, mais les colonialistes anglais ont utilisé tout au long du dix-neuvième et vingtième siècle l’argument que finalement leur colonisation était super justifiée parce que les Maoris déjà c’étaient pas les premiers, et puis on a le droit d’être des connards parce qu’eux aussi étaient des connards avant.

(L’argument zéro de l’humanité.)

Cette vision était d’ailleurs tellement populaire que les autorités britanniques étaient plus ou moins persuadées à l’époque que le peuple Maori vivait ses derniers jours, et ça leur posait zéro problème (au contraire). L’artiste Charles Goldie s’était d’ailleurs spécialisé dans les portraits de Maoris songeurs, contemplant et acceptant leur extinction proche avec nostalgie.


(« Ah, si seulement je pouvais encore manger la chair de mes ennemis vaincus. Mais bon tant pis, j’vais juste me suicider. »)


(« Han chuis trop deg, Darwin avait raison depuis le début. »)


(« L’homme blanc nous a vaincus, on n’a plus qu’à crever maintenant. GG les Anglais, AFK »)

La théorie de l’extinction des Moriori a été publiée dans les livres d’école en 1934, et a ainsi été enseignée à plusieurs générations d’enfants Kiwis. Ce qui est intéressant, c’est que l’accent n’était pas tant mis sur la cruauté (réelle) des Maoris, mais sur la stupidité (imaginaire) des Moriori. Ils sont notamment décrits comme paresseux, laids, et très, très noirs (forcément, ça va ensemble, hein Gérard ? Ah ah ah c’est tellement fun le racisme).



(V’la la bonne ambiance dans les salles de classe.)

Alors bien sûr, avec le temps, la Couronne Britannique a tout de même mis de l’eau dans son vin rapport au racisme, mais il n’empêche que la théorie des Moriori a été enseignée aux enfants Kiwis jusque dans les années 1970, quand des archéologues ont découvert ce que l’on sait aujourd’hui (à savoir, que les Maoris étaient réellement les premiers en Nouvelle-Zélande).

Le souci, c’est que peu de Kiwis se soucient suffisamment de leur histoire pour se renseigner sur le sujet. Résultat, plusieurs dizaines d’années après preuve du contraire, énormément de Kiwis pensent encore que les Maoris n’étaient pas les premiers en Nouvelle-Zélande, et que donc les Britanniques n’étaient pas des colons envahissant des indigènes, mais simplement la vague suivante d’immigration.

Et là tu vas peut-être me dire « Ouais, d’accord, mais les Maoris sont pas vraiment la figure du peuple innocent – j’veux dire, ils ont quand même commis un génocide, on est d’accord ? »

On est d’accord, mais la question n’est pas là.

Si la question était « Est-ce que les Maoris étaient des enfants de chœur », le massacre des Moriori serait un excellent argument en faveur du non.

Mais dans la question « Les Maoris ont-ils colonisé la Nouvelle-Zélande avant les Anglais ? », la réponse est clairement : non. Les Maoris n'ont pas colonisé la Nouvelle-Zélande, ils s'y sont installés quand il n’y avait personne dessus.

Après, on peut arguer qu’ils ont colonisé les Iles Chatham, ça, je dis pas. Mais tout porte à penser que l’invasion des Iles Chatham n’aurait probablement pas eu lieu s’il n’y avait pas eu la colonisation britannique. Parce qu'avant l’arrivée des Anglais, les Maoris étaient bien trop occupés à se faire la guerre en permanence pour penser à s’étendre sur d’autres territoires.

(Surtout que, les rares fois où ils étaient pas en guerre les uns avec les autres, ils devaient s’occuper à trouver de la bouffe (pour avoir de l’énergie pour faire la guerre plus tard) et à faire des mômes (pour qu’ils puissent assurer la prochaine guerre).)

(Ah oui ben j'avais prévenu que c'étaient pas des enfants de chœur.)

Et même si l'histoire des Moriori avait été vraie, elle n'aurait quand même pas sa place dans le débat d’aujourd’hui sur la légitimité de la colonisation. C'est franchement limite de comparer une invasion qui aurait eu lieu au Moyen Age avec une invasion qui a eu lieu au XIXè siècle en disant que c'est la même chose. C'est pas la même chose. On n'est plus la même civilisation. Juste parce qu'on se comportait comme des barbares y'a des centaines d'années, ça n'excuse pas le fait qu'on se comporte comme des barbares dans le monde moderne.

Donc, si un jour tu entends un Kiwi ressortir l'histoire de "Les Maoris c'étaient pas les premiers gna gna gna j'vois pas de quoi ils se plaignent", tu sais quoi répondre:

- TA GUEULE. Cet argument vaut littéralement double zéro. Premier zéro, c'est pas vrai. Deuxième zéro, même si c'était vrai, ce serait un argument de merde quand même. Arrête d'essayer de démontrer que la colonisation c'est super duper, sincèrement le monde entier a déjà tranché que c'était pas bien, ça fait genre au moins soixante ans que tout le monde est d'accord là-dessus et ça fait pitié de voir à quel point t'es à la ramasse.


Bon, après, je dis pas que tu te feras des tonnes d'amis si tu parles aux gens sur ce ton, mais au moins tu seras détenteur de la Vérité comme Socrate.

(Et puis tu peux faire une sortie badass.)

(C'est pas tous les jours qu'on te donne des occasions comme ça.)

(Ne me remercie pas.)

4 commentaires:

  1. Mais si, mais si, je te remercie. Pas tant pour la sortie badass que pour ton article. Plus sérieux que d'habitude mais toujours aussi bien et intéressant sur la culture kiwie !

    RépondreSupprimer
  2. En lisant « Les Fa'afafine sont des garçons Samoans que leurs parents élèvent comme des filles pour qu’ils puissent s’occuper des tâches ménagères. », j'ai pensé à quelque chose dont on m'avait parlé : à Tahiti (si mes souvenirs sont bons), le premier garçon d'une famille est (ou était) habillé et élevé "comme une fille" mais apparemment, ce serait lié à une histoire ancienne de garçons enlevés pour aller faire la guerre ou quelque chose comme ça... C'est là que je me rends compte que ma mémoire est tout à fait un troll, que ce commentaire est tout à fait passionnant et que heureusement que c'est pas moi qui écrit tes articles !
    Merci pour ces démontages d'idées reçues !

    RépondreSupprimer
  3. Très intéressants ces articles...
    Pour les Fa'afafine, tout est "bien qui finit bien" finalement. Lorsque j'ai commencé à lire leur histoire, cela m'a fait penser aux Bacha posh. Sauf que là, il est question de petites filles et que malheureusement, ce n'est pas une idée reçue pour elle. Pour laver la "honte" de ne pas avoir de fils, certaines familles habillent leurs filles en garçon pour qu'elles puissent travailler. Il y avait un documentaire très intéressant sur le sujet sur Arte.

    Et cette histoire de colonisation est proprement effroyable... Comme il est facile de justifier se actes...

    Merci pour ces minutes cultures !

    L.E.

    RépondreSupprimer
  4. Excellent article, comme d'hab.

    (Juste, tu aurais pu préciser que, n'en déplaise aux Britanniques, ce n'est pas eux qui ont découvert les ossements du moa. Mais un viennois).
    (Freud en l’occurrence).
    (Pas très loin de ceux du surmoa, mais je crains d'être un peu hors sujet, là).

    RépondreSupprimer