jeudi 6 septembre 2018

Vis ma vie au kolkhoze


Comme tu le sais, je suis revenue vivre dans le nid familial depuis un an déjà.

Et "nid" est vraiment le terme qui convient, puisque mon logis est entouré par les pénates de mes grands-parents et de mon père, respectivement.

Ça ne nous pose pas de problème (à part le fait qu'on mette les facteurs de Kaysersberg en PLS parce qu'il y a le même nom sur trois boîtes aux lettres et qu'en plus on habite tous au même numéro de rue) (c'est un peu leur hardcore mode à eux), mais après, faut dire que pour nous autres, c'est dans l'ordre naturel des choses.

Pour Professeur Flaxou, qui est relativement nouveau dans la famille (c'est-à-dire qu'il est arrivé déjà adulte, donc il a pas encore eu bien le temps de s'imprégner), certaines pratiques familiales le laissent un peu... perplexe.

C'est en fait via son truchement que j'ai découvert que tout le monde ne fonctionne pas comme nous, parce qu'il a passé six mois à dire "c'est chelou" à des trucs parfaitement normaux.

Par exemple, le fait qu'on ne verrouille jamais les portes.

Enfin, si, on verrouille la porte d'entrée principale, mais ma mamie ne ferme jamais la porte de son appartement à clef, et moi non plus. Et la maison de mon père a une porte secrète qui est presque toujours ouverte (et quand elle ne l'est pas, il y a une clef secrète dans un coin secret que toute la famille peut utiliser pour entrer).

- Mais pourquoi vous laissez toujours ouvert? C'est bizarre!
- Ben, c'est pour que les autres puissent entrer au cas où t'es pas chez toi.
- Mais pourquoi tu laisserais rentrer des gens chez toi quand t'es pas là??!

Mais pourquoi tu ne laisserais PAS rentrer les gens chez toi quand t'es pas là, Flaxou? C'est là que c'est le plus utile !

Par exemple, moi, je laisse systématiquement la porte de l'appartement ouverte, parce que je sais qu'en été, quand il y a de l'orage, mon papy s'inquiète toujours de savoir si on a laissé les vélux ouverts à l'étage, et quand on n'est pas là, il va vérifier. Ou encore, des fois, je rentre de cours tard le soir, quand ma mamie est déjà couchée, et quand j'ouvre le frigo, y'a une assiette de hachis parmentier qui m'attend (avec le coulis de sauce tomate maison à côté). C'est que du bénef !

- Et puis, imagine qu'on a besoin d'un truc qui est chez mon père, et qu'il est parti en week-end. On fait comment? 
- ....
- On va pas attendre qu'il rentre chez lui, quand même !


(A ce stade, la tête de Fla me laissait présager que mon argument n'était pas valide en dehors de ma famille.)

Car, un autre truc qui est apparemment bizarre pour Flaxou, c'est le concept de "communauté" dans la famille.

Ça veut dire "communauté de biens", en fait.

En gros, tout ce qu'on achète, on l'achète qu'en un seul exemplaire, parce qu'en fait on l'achète pour tout le monde.

C'est pour ça que Flaxou était surpris la première fois que j'ai invité mes cousins à manger à la maison :

- Tu vas leur faire quoi?
- Un barbecue.
- Mais on n'a pas de barbecue.
- Mais si! Y'a celui de mon père.
- Tu vas lui emprunter son barbecue un dimanche? Et s'il veut l'utiliser? 
- Il m'a dit qu'il ferait ses grillades entre midi et une heure, et je peux l'avoir après.
- Ce serait pas plus simple de faire autre chose?
- Ben, on sera neuf, donc c'est compliqué.
- On sera neuf??! Mais on va les asseoir où? On n'a pas de table assez grande!
- Mais si ! Y'a celle de mon père.
- ...
- Ah tiens d'ailleurs, je vais vite faire un saut derrière, je dois aussi lui emprunter un saladier, cinq verres à vin, et neuf couteaux à viande.


(Flaxou a du mal avec les principes marxistes.)

Alors bon, pendant un moment, Flaxou trouvait que c'était de ma faute, que j'étais pas assez indépendante, que je me reposais trop sur mes parents, et que j'étais une parasite.

Sauf qu'il a vite compris que notre principe de communauté de biens allait dans les deux sens le jour où mon père a toqué à la porte en disant :

- Salut, dis voir, j'ai acheté un nouveau lit, du coup je viens stocker l'ancien dans la chambre du haut. Tu viens me donner un coup de main pour le sommier?


(La chambre du haut = NOTRE chambre du haut)

Fla, en apprenant qu'il y avait un lit supplémentaire dans la pièce à bordel :



(Bah oui Flaxou, mais c'est comme ça quand on ne fait pas partie du soviet suprême.)

Idem le jour où une arrière-petite-cousine est passée dire bonjour avec sa famille sur la route des vacances, et que ma mamie m'a appelé pour me dire :

- Y'a Corinne qui vient ce soir avec son mari et ses filles. Tu te rappelles de Corinne?
- Non.
- Mais si ! La fille de Gilbert et Maryvonne. Tu te rappelles de Gilbert?
- Non.
- Mais si ! C'était mon troisième neveu du côté de ma belle-soeur. Tu te rappelles? Celui qui habitait Paris et que tu as vu une fois quand tu avais huit ans?
- Ah, mais oui, évidemment, où avais-je la tête.



Bref, Corinne est venue avec sa famille, on a tous mangé ensemble, mamie avait fait de la tourte, c'était super. Et puis, à la fin du dîner :

- Au fait Charlotte, je te donne des draps si tu veux.
- Pourquoi faire?
- Pour faire les lits ! Les filles de Corinne vont dormir dans la chambre du haut.

(La chambre du haut = NOTRE chambre du haut, bis)

(Mais du coup c'était pratique, y'avait un deuxième lit grâce à l'ajout de celui de mon père.)

Donc Flaxou a du mal à comprendre qu'on ait une chambre d'amis partagée, mais en même temps, c'est un état d'esprit dans lequel il faut entrer.

- T'as acheté un braséro?

- Il était en soldes chez Aldi, je l'ai eu pour une bouchée de pain!
- Mais on sort jamais dans la cour! On va l'utiliser une fois par an!
- Nous, oui, mais mon père a un jardin, je suis sûre qu'il va l'utiliser tout le temps.
- Mais... pourquoi il irait utiliser ton braséro?

Parce que devine à qui appartient ce braséro, maintenant, Flaxou?





(FACT : tout ce qui est dans le garage appartient à la famille.)

(La preuve : on a utilisé le braséro une fois, je l'ai rangé dans le garage, et une semaine après, mon père me textait "Cool le nouveau braséro, t'as pas des chamallows chez toi par hasard?")

Conclusion :

- Non mais je comprends qu'il te faille un temps d'adaptation pour adopter ce système de valeurs supérieur. C'est sûr que quand on a été élevé dans l'individualisme et le libéralisme sauvage...
- Meuf, ta grand-mère a voté Fillon.

- ... J'ai pas dit qu'on était parfaits.

2 commentaires:

  1. J'avoue que laisser la porte ouverte, je n'oserais pas, mais bon quand on habite en ville ce n'est peut-être pas la même vision des choses. Par contre mes parents ont un double des clés de mon appartement, c'est un peu le même principe.
    Bon, tout ça ne nous dit pas si Flaxou est allé chez l'allergologue pour sa prétendue allergie aux chats ? (t'as vu je suis)

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    1. Haha ça c'est du suivi ! Il n'y est pas encore allé, l'allergologue a une liste d'attente longue comme le bras, donc le rendez-vous est pris, mais ça ne sera pas avant novembre :(

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