dimanche 4 mai 2014

L'Instant Kiwi: les kauris sont nos amis, il faut les aimer aussi

L'Instant Kiwi n°14: interlude kauri



Après nos aventures de foufous dans le Far North, Professeur Flaxou et moi avons fait une escale à Opononi et Waipoua Forest.


Waipoua (littéralement "l'eau dans la forêt la nuit") est une forêt sacrée pour les Maoris, et le dernier sanctuaire des kauris.


Interlude botanique: qu'est-ce qu'un kauri?


Le kauri (Agathis australis) est une essence d'arbre que l'on trouve uniquement dans le Nord de la Nouvelle-Zélande. Avant que les Maoris ne s'installent en Nouvelle-Zélande, les forêts de kauris couvraient la totalité de la surface Nord de l’Île du Nord. Aujourd'hui, on estime qu'il reste à peu près 4% du volume total de ces forêts. La déforestation, entamée par les Maoris (qui brûlaient le bush pour chasser les kiwis plus facilement, et abattaient les kauris pour en faire des pirogues) a été très largement achevée par les colons Européens, qui ont abattu la quasi-totalité des kauris de Nouvelle-Zélande en seulement une petite centaine d'années (entre 1820 et 1950). L'abattage de kauris a été interdit en 1972 seulement.


Pourquoi cet amour du bois de kauri? Plusieurs raisons. D'abord, les kauris sont une merveille de la nature en termes de défenses naturelles: dès qu'un kauri est envahi par un parasite (insecte, liane, etc.), il se défend en se débarrassant de ses branches ou de son écorce (qui est répartie sur le tronc comme les écailles d'un poisson). Ce système lui permet de vivre très longtemps (plusieurs milliers d'années) et d'atteindre des tailles gigantesques. De plus, quand le kauri grandit, il perd petit à petit ses branches les plus basses (ça lui permet de garder son énergie pour pousser le plus haut possible), et a la particularité de perdre ses branches avec leur noeud.


Résultat? Des arbres gigantesques, avec un tronc massif et long, et sans un seul noeud sur toute la surface. 





(Celui-ci est un jeunot d'à peine 700 ans.)

Le kauri a donc été massivement abattu pour en faire des coques de bateaux, des mâts, des poutres pour de grands immeubles, des rails de chemin de fer, ou simplement des meubles précieux (le kauri est un bois très joli).


La résine de kauri était également très recherché pour ses multiples usages (elle entrait dans la confection de vernis, colles, peintures, linoléums, ou encore était utilisée comme allume-feu). De nombreux kauris étaient saignés à blanc sur plusieurs années afin de récupérer la sève, puis coupés une fois morts pour en faire des planches.




(Un kauri malade qui a saigné de la résine partout - oui je sais, faut toujours que je touche à tout.)

Le souci, c'est que, comme dit plus haut, les kauris poussent UNIQUEMENT en Nouvelle-Zélande (et encore, sur une petite partie du territoire seulement). Le gouvernement Néo-Zélandais, en accord avec les tribus Maories locales, ont donc travaillé dur les 40 dernières années pour sauver les kauris restants (ce qui n'est pas une mince affaire, parce qu'ils sont très menacés par un parasite qui s'attaque à leurs racines.)


Tout ce savoir, je l'ai acquis lors de notre marche guidée avec la compagnie Footprints, qui offre des marches de nuit dans la forêt millénaire avec un guide Maori qui t'explique les légendes liées au kauri, ou encore les usages traditionnels des plantes du bush.


Voici une légende sympa, celle qui explique pourquoi le kauri a son écorce particulière:




(Te Matua Ngahere, "le père de la forêt": un kauri vieux de 3000 ans, qui fait 30 mètres de haut et 16 mètres de circonférence.)

La plus grande créature vivante dans la mer est Tohora (la baleine), et la plus grande créature vivante sur terre est le kauri. Naturellement, les vieux géants devinrent amis. Un beau jour, Tohora nage près du rivage, et lance un appel dans la forêt pour son ami Kauri :

"Kauri, viens avec moi", dit-elle. "Si tu restes sur terre, les hommes t'abattront pour fabriquer leurs bateaux. Tu ne peux rester où tu es". Kauri répond:

"Je ne peux pas te suivre, car je flotterais sur l'eau, impuissant. Mes feuilles tomberaient, et je finirais par sombrer au fond de l'océan, dans la demeure silencieuse de Tangaroa. Je ne verrais plus jamais le soleil, et mes racines me seraient inutiles sur le sable des plages."

Tohora réfléchit, et dit à Kauri:

"Tu as raison. Mais tu es mon ami, et je veux tout de même t'aider. Échangeons nos peaux en souvenir l'un de l'autre."

Kauri accepte, et c'est depuis ce jour que l'écorce du kauri est écaillée comme celle d'un poisson, tandis que la peau de Tohora est lisse comme l'écorce d'un arbre.



(Illustration pour montrer l'écorce du kauri, et aussi, accessoirement, une image du bonheur.)

(J'aime bien faire des câlins aux arbres, ça me rappelle ma jeunesse Vosgienne.)

Toutes les photos de kauris ci-dessus n'ont pas été prises pendant la marche avec Footprints (vu qu'il faisait nuit) mais le lendemain matin, mais ce sont les mêmes arbres qu'on est allés voir: Te Matua Ngahere le père de la forêt, le plus vieux et le second plus grand kauri au monde, et puis évidemment la star du show, Tane Mahuta.


Tane Mahuta n'est pas seulement le plus grand kauri restant au monde, mais il est surtout l'un des dieux les plus importants de la cosmologie Maorie. 

(Les dieux maoris, comme les dieux païens d'Europe, sont des esprits ancrés dans des êtres bien réels. Cet arbre n'est donc pas la personnification du dieu de la forêt, il est bel et bien le dieu lui-même.)

(C'est pas un truc qu'on voit tous les jours, tu en conviendras.)

Alors évidemment, les prêtres anglicans ayant accompli leur "mission civilisatrice", les Maoris modernes ne vénèrent pas Tane Mahuta comme leurs ancêtres le faisaient. (Les Maoris, comme le reste des Kiwis, sont en grande majorité protestants ou athées) (avec 40% de fidèles, l'athéisme est la première religion du pays) (dans ta face Jésus Christ). Mais venir voir Tane Mahuta reste quand même un "pèlerinage" à faire dans la vie d'un Kiwi (Maori ou non).

Selon la légende, Tane est l'un des enfants de Rangi (le ciel) et Papa (la terre). 

(Oui, la mère s'appelle Papa - probablement encore un coup de ces salauds de gauchistes avec leur théorie du genre.)

Au commencement, il n'y avait ni jour, ni nuit, ni soleil, ni lune, ni forêts ni plages. Il n'y avait que Rangi et Papa, enlacés dans une étreinte éternelle. Leurs enfants vivaient en rampant dans les grottes et tunnels étroits entre leurs deux parents, ce qui n'est pas du tout malsain! Non non!

Un beau jour, les enfants décident que bon vivre dans un mètre carré ça va bien cinq minutes, et se réunissent pour savoir comment gagner plus de place.

Tūmatauenga, le dieu de la guerre et de l'équilibre, suggère de tuer leurs parents (non mais ça va, on peut parler deux minutes avant de buter tout le monde, GI Joe?), mais Tane propose une solution un peu moins psychopathe: en se dressant de toute sa hauteur et en poussant la terre de ses pieds et le ciel de ses épaules, lui et ses frères et soeurs séparent de force Rangi et Papa, créant la lumière et l'air. 

Seulement, les parents sont pas trop heureux de cette nouvelle situation, vu qu'on leur a pas trop demandé leur avis (je vois que "dialoguer" n'est jamais la réponse des Maoris à la question "comment résoudre un problème?"). Rangi contemple alors le corps de sa bien-aimée Papa et se languit de son étreinte, et ses larmes forment la première pluie.

(La femme qui s'appelle Papa, l'homme qui pleure, oui décidément je crois bien que c'est un complot pour pervertir nos enfants.)

Tane, qui est bien content d'être à l'air libre après une vie entière à respirer les aisselles de ses parents, se sent quand même coupable de les avoir séparé, et, pour se racheter, pare sa mère du plus bel habit qu'il puisse imaginer, et créé les arbres et les forêts. Il créé aussi la lune et le soleil pour tenir compagnie à Rangi durant le jour. 

Mais, la nuit, le ciel est vide et triste, alors Tane se met en route et marche jusqu'au bout du monde, où vivent son frère Uru (l'Ouest) et ses enfants: les étoiles. Sur les ordres d'Uru, les étoiles cessent de jouer au bord de la plage et dans les collines, se rassemblent, et sautent dans le panier de Tane, qui place les étoiles sur le manteau de Rangi et orne son habit d'une étincelante parure. 

Ah ben super, de mieux en mieux, maintenant le père a une parure en strass, mais où sont nos valeurs ma bonne dame?

(Et sinon, on ne va pas parler d'Uru qui envoie ses enfants dans le ciel? C'est une manie ou quoi?)

Le panier de Tane, quant à lui, est resté dans le ciel, et c'est la voie lactée.

(Faudra quand même qu'on m'explique comment un bandeau de lumière peut faire penser à un panier.)

(Peut-être sous un certain angle?)

Connaissant toutes ces histoires, on a d'autant plus apprécié d'aller faire un petit coucou à Tane et à sa majestueuse silhouette dans le noir, sur fond de voie lactée (le panier, donc).

Quant à moi, je suis rentrée de Waipoua avec une pomme de pin de kauri (ou bien on dit juste une pomme de kauri?) en souvenir et des étoiles plein les yeux.

Et en plus j'ai entendu des kiwis qui se faisaient des petits coucous dans le bush, ma vie est officiellement plus cool que la tienne.


(En plus j'ai un chapeau de bushman, j'vois pas comment tu pourrais faire mieux, honnêtement.) 

2 commentaires:

  1. 16 m de diamètre, vraiment ? Elles sont bonnes à fumer, les pommes de pin de kauri ? :)))

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  2. Ah ben zutalor ! Mille esscuses, j'avais cru lire "diamètre", hein, voilà ce qu'on obtient en remboursant de plus en plus mal les lunettes :D

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